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doute dans la nature des choses, et demandent qu’un salaire uniforme soit appliqué à toute la corporation. Sous l’inspiration des mêmes idées, plusieurs délégués blâment le travail aux pièces, qui dans leur industrie tend à se substituer au salaire fixe. Rien cependant n’est plus utile que cette substitution, et rien n’est plus fâcheux que l’opinion qui la condamne. C’est avec un vif regret qu’on trouve ainsi çà et là, dans les rapports des délégations, l’expression de tendances surannées.

Certaines industries, certaines manufactures, usent de plus en plus du travail des femmes. Cette pratique est de nature à faire baisser le taux des salaires. Aussi l’ouvrier ne voit-il pas cette question de sang-froid, et la juge-t-il avec partialité. « Une chose qui a pu paraître charmante, dit le délégué des typographes, c’est l’idée qu’a eue une maison parisienne, qui vise, dit-on, au phalanstère, d’employer des femmes à composer dans le sein de l’exposition même. Cela peut avoir du piquant parfois, mais qu’on nous dise où en est le côté utile. On a voulu sans doute, par ce moyen, faire sanctionner par le public l’introduction des femmes dans les rangs des compositeurs; mais nous devons nous élever contre cette innovation, qui est une cause de décadence pour la typographie sous le double rapport des travaux et de l’abaissement des salaires.» Les délégués signalent à qui mieux mieux, comme on pense, toutes les bonnes raisons qu’on peut donner contre la présence des femmes dans les manufactures : l’épouse, la mère doit rester au foyer domestique; si elle s’absente toute la journée, les enfans demeurent à l’abandon, et le domicile conjugal, mal entretenu, devient inhabitable. Joignez à cela les dangers d’immoralité qu’offrent les ateliers, alors même qu’ils ne sont fréquentés que par des femmes. Du moins, disent-ils, avant de donner aux femmes l’ouvrage des hommes, rendez-leur celui qui leur est propre. « N’est-il pas surprenant de voir dans les magasins de nouveautés, de mercerie, de bonneterie, de dentelles, des hommes dans la fleur de l’âge passer leur temps à débiter des mètres d’étoffes et de rubans? » Les bons argumens abondent sous la plume des délégués; mais il y en a un mauvais qui revient aussi trop souvent : c’est qu’il faut avant tout et à tout prix écarter une cause qui menace le taux des salaires. Quelques-uns vont jusqu’à demander des règlemens sur le travail des femmes. Les plus modérés seulement avouent qu’une pareille question ne peut pas être tranchée par la loi, et que c’est à l’état des mœurs qu’il appartient d’empêcher l’introduction des femmes dans les manufactures. Que l’ouvrier blâme l’atelier féminin, qu’il s’arrange pour en éloigner les femmes de sa famille, rien de mieux ; mais une réglementation serait impuissante à at-