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il emporte pour cette dépense nécessaire une certaine somme, que les délégués estiment à 1 fr. 25 cent., et voilà de ce chef un trou de 290 fr. par an fait au budget. En fin de compte, il reste 460 fr., soit 1 fr. 25 cent, par jour pour le déjeuner et le dîner de la famille. « C’est suffisant pour ne pas mourir de faim; mais au moindre accident qui viendra déranger l’équilibre de ce frôle budget, cette honnête et laborieuse famille va tomber dans la misère. qu’elle reste une semaine à trouver de l’ouvrage, qu’elle soit malade, qu’elle ait à payer un médecin, des médicamens, c’en est fait, il faut qu’elle s’endette, et comment paiera-t-elle ? Sur quel article fera-t-elle ses économies? où est le superflu qu’elle se retranchera? » Nous avons examiné en détail ce budget de l’ouvrier couvreur, parce qu’on y sent moins la misère que la rude énergie du labeur vaillamment soutenu. Écoutez d’ailleurs les sentimens qu’exprime le délégué en terminant son exposé. « Au fond, la vie n’est clémente pour personne, et, quelque lourde que soit la tâche, le meilleur lot est encore pour ceux qui travaillent. La pensée qu’on remplit son devoir, qu’on est te guide et le protecteur de quelques êtres chéris, la certitude de pouvoir compter sur le respect de tous à l’extérieur, et dans l’intérieur sur des amitiés dévouées et fidèles, consolent un honnête homme de ses privations. » N’est-ce pas là le plus noble langage qu’on puisse entendre?

Ainsi ce ne sont pas seulement les têtes chaudes, les ouvriers gâtés par le cabaret, ce sont les travailleurs les plus énergiques et les plus sensés qui réclament d’une façon absolue l’augmentation des salaires. Des difficultés qui peuvent s’y opposer, des nécessités industrielles qui limitent les profits, on trouverait à peine trace dans les volumineux rapports des délégués. Après tout, peuvent-ils dire, nous plaidons notre cause comme nous pouvons; les patrons ne manquent pas de moyens pour défendre la leur. Et en effet, tant qu’ils se bornent à demander une augmentation des salaires sans examiner si elle est possible, on n’y peut pas trouver grand mal; mais le mal commence certainement quand cette préoccupation les amène à des points de vue tout à fait contraires au progrès industriel. Chez un trop. grand nombre d’entre eux, on retrouve l’écho des doctrines prêchées en 1848 sur l’organisation du travail. Encore maintenant plusieurs réclament je ne sais quelle chimérique égalité dans les salaires. Les doreurs sur bois, par exemple, sont divisés en deux catégories; les uns mettent sur les bois l’apprêt, c’est-à-dire les mastics et les enduits nécessaires, les autres y appliquent l’or; les premiers ne gagnent guère que 5 francs en moyenne, tandis que les autres ont environ 6 fr. 50 c. Or les délégués du corps de métier s’élèvent vivement contre cette différence, qui est sans