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lisme, l’Association internationale nous paraît se séparer absolument des masses ouvrières, dont l’éducation, si incomplète qu’elle soit, commence pourtant à se faire. Quel motif pousse les meneurs de cette association à ressusciter des doctrines discréditées? Sont-ils convaincus ou est-ce une tactique? C’est ce que nous n’avons pas à rechercher ici. Nous voulions seulement montrer qu’on se ferait illusion, si l’on croyait que les votes de l’Association internationale correspondent aux sentimens actuels de nos classes laborieuses. Nous en trouvons au contraire l’expression naïve et sincère dans les rapports de nos délégués, car, si les circonstances dans lesquelles ils ont été rédigés leur donnent une certaine sagesse de commande, la part de cet optimisme est facile à faire.

Voici d’abord la question des salaires; c’est la question principale, celle qui domine toutes les autres, et à laquelle toutes les autres se ramènent. Or cette question toute pratique, toute palpitante, fait perdre aux délégués leur sang-froid. Ici « les saines doctrines de l’économie politique, » la théorie de l’offre et de la demande, perdent toute autorité. L’ouvrier trouve son salaire insuffisant, et il demande qu’on l’augmente. Les patrons peuvent-ils le faire? C’est ce dont il se préoccupe peu. Au besoin, M. Devinck est mis en demeure de trancher la difficulté. Dans tous les rapports et sous toutes les formes, l’insuffisance des salaires est signalée, et quelquefois en termes fort expressifs. Écoutons par exemple les délégués des couvreurs; il s’agit ici d’un métier où la paie est relativement élevée. « Tous les jours, dans la rue, vous voyez un malheureux suspendu sur l’abîme; si son échelle venait à se rompre, si son pied glissait, il serait précipité dans la rue et tué infailliblement. Vous demandez : combien gagnent ces ouvriers? On vous répond : 6 francs 25 cent. Aussitôt vous vous écriez : Ce n’est pas 6 francs qu’on devrait leur donner, c’est 10 et 20 francs par jour ! Nous n’en demandons pas tant, messieurs; ce que nous désirons, c’est que nos patrons lisent ce rapport, et nous sommes certains qu’ils nous accorderont ce que nous leur demandons depuis dix-neuf ans (il s’agit de porter le salaire à 7 fr.). Rendons d’abord hommage à nos ménagères, qui, levées avec le jour, travaillent tout le temps que ne réclament pas leurs enfans pour apporter une modique somme au revenu commun, et qui ne peuvent arriver à ne pas faire de dettes que par des prodiges d’ordre et d’économie. » Suivons les délégués, qui établissent le budget d’un compagnon couvreur ayant une femme et deux enfans; ils supposent, bien entendu, un ménage modèle où fleurissent toutes les vertus domestiques. « Le compagnon gagne, comme il a été dit, 6 fr. 25 cent, par jour. Que de personnes vont s’imaginer qu’avec un pareil sa-