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faits pour les surmonter. Les ouvrages existans ne lui offraient que des documens de bien peu de valeur. « Entre les auteurs qui ont traité des arts mécaniques, l’un n’était pas assez instruit de ce qu’il avait à dire, et a moins rempli son sujet que montré la nécessité d’un nouvel ouvrage. Un autre n’a qu’effleuré la matière, en la traitant plutôt en grammairien et en homme de lettres qu’en artiste. Un troisième est à la vérité plus riche et plus ouvrier ; mais il est en même temps si court que les opérations des artistes et les descriptions de leurs machines, cette matière capable de fournir seule des ouvrages considérables, n’occupe que la très petite partie du sien... Tout nous déterminait donc à recourir aux ouvriers. » Diderot raconte alors comment il s’est adressé aux plus habiles praticiens de Paris et même de la province, comment il est allé dans leurs ateliers, les interrogeant, écrivant sous leur dictée, développant leurs pensées, prenant note des termes propres à chaque profession. A quelques-uns, il demandait des mémoires écrits; mais il avait soin d’aller en conférer avec ceux qui les lui avaient remis. Il contrôlait d’ailleurs le dire des uns par celui des autres, et arrivait ainsi à rectifier ce qui lui avait été imparfaitement ou infidèlement expliqué. « La plupart, dit-il, de ceux qui exercent les arts mécaniques ne les ont embrassés que par nécessité et n’opèrent que par instinct. A peine entre mille en trouve-t-on une douzaine en état de s’exprimer avec quelque clarté sur les instrumens qu’ils emploient et sur les ouvrages qu’ils fabriquent. Nous avons vu des ouvriers qui travaillent depuis quarante années sans rien connaître à leurs machines. J’ai dû exercer avec eux la fonction dont se glorifiait Socrate, la fonction pénible et délicate de faire accoucher les esprits. » Les entretiens et les explications ne suffisaient pas toujours. Il est beaucoup de métiers dont, à moins de travailler soi-même, de mouvoir les machines de ses propres mains, on ne peut parler avec précision. Diderot fit donc construire pour son usage particulier un certain nombre de modèles et de métiers dont il voulait connaître tous les détails. Plus souvent il allait dans les ateliers, mettait habit bas, travaillait comme un apprenti, et faisait lui-même « de mauvais ouvrages pour apprendre aux autres comment on en fait de bons. »

On voit comment Diderot entendait et pratiquait la description des arts mécaniques. Son procédé est évidemment excellent. Il avait une connaissance complète de son sujet, et il y joignait le talent d’exposer ce qu’il savait. Ce sont là les deux conditions que doit remplir, pour se faire estimer, tout écrit sur les arts industriels. Dans la pratique, il arrive d’ordinaire que l’une d’elles au moins n’est qu’imparfaitement remplie. Les écrivains de profession, ceux