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d’une passe au premier sang; tant mieux pour lui, s’il a réussi à mettre le roi Victor-Emmanuel hors de combat pour un certain temps; « l’affaire d’honneur » est vidée. Si maintenant, ce dont personne ne doute encore à ce moment, le général Benedeck remporte une victoire au moins pareille dans les défilés formidables de la Bohême, la face du monde s’en trouvera changée, — et pourquoi ne pas le reconnaître? — changée en bien! La France intervenait et imposait la paix, l’équilibre, et pour atteindre ce but assurément glorieux et prospère « sa force morale seule suffisait. » Venise était affranchie, l’Autriche dédommagée par la Silésie et maintenue dans sa grande position en Allemagne; la Prusse, rendue plus homogène et forte au nord, formait une barrière utile contre le Moscovite; les états secondaires recevaient une organisation plus puissante et un rôle plus important dans la confédération germanique; enfin la neutralisation des forteresses allemandes de l’Ouest par la constitution d’un état nouveau composé des anciennes provinces rhénanes de la Prusse devenait pour l’empire français l’unique, mais inappréciable récompense de son désintéressement. Et qui donc eût alors osé médire d’une politique capable d’obtenir des résultats aussi grands, aussi heureux, sans avoir même tiré l’épée et par la seule force morale?... Le Dieu des batailles en décida autrement, hélas! Au lieu d’un Custoza, les défilés de la Bohême virent successivement Nahod, Skalitz, Gitchine et cet immense désastre de Kœnigsgraetz qui frappa l’empire des Habsbourg au cœur, et mit aussi en lambeaux la combinaison française !... Tolérant parfois à l’intérieur pour les opérations aléatoires, le second empire en avait essayé une au dehors. La combinaison, quoi qu’on ait dit, était vaste et profonde, mûrement réfléchie et menée avec un art supérieur; elle n’eut qu’un seul tort, le tort fatal, il est vrai, calamiteux au-delà de toute expression, de ne jamais admettre la possibilité d’une victoire des Prussiens, d’une victoire comme n’en ont point vu les annales de nos temps. Mais qui de nous tous aurait admis une pareille hypothèse encore au 23 juin? « C’était un événement, disait plus tard dans une séance mémorable des chambres françaises M. le ministre d’état, que l’Autriche, que la France, que les militaires, que les simples citoyens, avaient considéré tous comme invraisemblable, car c’était comme une présomption universelle que l’Autriche devait être victorieuse, et que la Prusse devait payer et payer chèrement le prix de ses imprudences. » C’est la France malheureusement qui alors paya et qui n’a pas encore fini de payer le prix de ces imprudences prussiennes !


JULIAN KLACZKO.