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de la paix; mais dans le cas de cette rupture elle s’engageait d’avance à échanger sa possession sur l’Adriatique contre un territoire équivalent que pourraient lui donner des succès militaires. Au mois de juin, alors que la guerre était devenue inévitable, qu’elle était déjà imminente, l’empereur François-Joseph faisait un pas de plus dans la voie depuis longtemps indiquée, un pas décisif : il cédait la Vénétie à l’empereur Napoléon III avant tout commencement d’hostilités[1]. Il voulait ainsi prouver aux Français sa parfaite bonne foi, s’assurer leur neutralité pendant la guerre, leur bienveillance après la victoire alors qu’il chercherait sa compensation dans un antique patrimoine de sa maison et sur le rival séculaire de sa dignité impériale. C’est la Prusse seule en effet qui devait payer à la couronne des Habsbourg la perte de la perle de l’Adriatique, et éprouver tout le poids de l’épée du vainqueur. Dans les plaines de la Lombardie, on ne livrerait qu’une bataille pour ménager les sentimens militaires, pour avoir «l’honneur des armes sauf,» — la malheureuse Autriche pensait à des affaires d’honneur dans notre heureux siècle d’affaires! — mais c’est dans les défilés de la Bohème qu’on attendrait l’ennemi véritable, le vassal félon, le traître à la grande patrie et le fratricide!...

« Un fait important vient de se produire : l’empereur d’Autriche a cédé la Vénétie à l’empereur des Français, » disait le Moniteur universel sous la date du 5 juillet après le désastre de Kœnigsgraetz. En réalité, ce fait important était déjà consommé depuis plusieurs semaines, avant toute rupture de paix; il avait été consacré par un traité formel dans des circonstances et avec des espérances bien autres que celles du jour où il fut enfin révélé au public. Le gouvernement français croyait alors, dans la seconde semaine du mois de juin, recevoir la première et grande récompense de sa politique de neutralité si mal approfondie et si injustement censurée. Ce sentiment perce dans la lettre impériale adressée le 11 juin à M. Drouyn de Lhuys et que le ministre d’état vint lire aux représentans de la nation. Sous la forme rétrospective de ce qu’il aurait demandé à

  1. Le Times avait assigné dans le temps la date précise du 9 juin à ce traité de cession, dont le texte n’a pas encore été publié. Il est sûr, dans tous les cas, qu’il fut signé dans la seconde semaine de ce mois. L’empereur François-Joseph ne pouvait alors donner Venise directement à l’Italie, puisque le roi Victor-Emmanuel était engagé par un traité envers la Prusse, et puis toute donation directe aurait empêché la guerre (M. de Bismarck ne se serait pas risqué seul contre l’Autriche). Or la guerre était précisément le mobile et la conditio sine qua non de la cession en vue de l’équivalent qu’on espérait conquérir. C’est pour cela aussi que le traité de cession devait être tenu très secret.