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Le traité fut signé le 8 avril, et, tout en reconnaissant la ténacité et la circonspection des négociateurs italiens, on ne saurait cependant le nier, il faisait la part très large à M. de Bismarck. Pendant trois mois, l’Italie se trouvait désormais enchaînée, n’avait plus la faculté d’accepter une cession possible de Venise, était tenue de répondre à la première sommation du canon prussien ; la cour de Berlin par contre était libre de tous ses mouvemens, elle pouvait faire la guerre ou ne pas la faire, menacer de son alliance italienne et y chercher le moyen d’obtenir des conditions avantageuses du côté de l’Autriche. On verra aussi l’étrange parti que la cour de Berlin devait bientôt tirer de la circonstance que les mots d’offensive et défensive se trouvaient seulement mentionnés dans le titre et non point dans le corps même du traité... On ne voulut voir rien de tout cela à l’hôtel du quai d’Orsay; on y vit seulement le fait unique, prodigieux, d’un pacte conclu entre un monarque par la grâce de Dieu et un roi de la volonté nationale, et l’on s’extasia sur l’habileté de M. Benedetti : il n’y avait qu’un diplomate de la nouvelle école pour opérer un pareil miracle! Et que dire de cette motion étonnante dont M. de Bismarck saisit la diète fédérale à Francfort, le 9 avril, le lendemain même du jour où il venait de signer son traité secret avec l’Italie! Il demandait « la convocation d’une assemblée issue des élections directes et du suffrage universel de toute la nation germanique; cette assemblée discuterait les propositions des gouvernemens allemands touchant une réforme fédérale. » La Prusse rétrograde, la Prusse de la sainte-alliance, en appelait donc à l’opinion, faisait une avance positive à la démocratie; ce roi Guillaume qui, sur l’Eider aussi bien que sur la Sprée, « passait sous silence » certains droits essentiels, il tenait à les proclamer hautement sur les bords du Mein, il parlait d’une assemblée constituante et du suffrage universel! Quel triomphe pour le droit nouveau, pour les principes modernes, et quelle « conquête morale » pour la France!...

La grande combinaison allait donc enfin aboutir, et rien, ce semble, ne devait plus arrêter la marche prévue des événemens.. Il est vrai que l’Autriche faisait à ce moment même un effort sérieux pour conjurer l’orage;: à tout prendre pourtant, cet effort était plutôt de nature à précipiter la crise. « Rien n’est plus éloigné des intentions de sa majesté le roi de Prusse qu’une attitude offensive envers l’Autriche, » avait fait déclarer solennellement à Vienne M. de Bismarck le 5 avril, trois jours avant de signer le traité avec l’Italie. Fort de cette parole, M. de Mensdorf exprima d’abord, dans une dépêche datée du 7 avril, son regret à l’égard de quelques mesures militaires prises auparavant en Bohême; il finit par proposer d’une manière formelle le désarmement simultané des deux puis-