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royaume maudit qu’assistait son collègue le comte de Barral; dans le fond apparaissait de temps en temps M. Benedetti. A cet endroit, on tend presque involontairement la main vers tel volume de Machiavel : on est pris de l’envie de relire un chapitre des Legazioni. Qu’il eût été heureux, le grand Florentin, de contempler ses trois compatriotes aux prises avec un « barbare! » Qu’il eût été étonné aussi de trouver que dans le nord barbare l’on était passé maître dans ces talens divers de l’homme politique auxquels notre langue bourgeoise ne sait donner que des noms désobligeans, mais qui pour lui, le fin connaisseur et artiste, s’appelaient dans leur ensemble la vertu[1] même ! Les plénipotentiaires italiens insistaient d’abord, d’après les intentions du général La Marmora, pour que la Prusse prît l’engagement absolu de faire la guerre à l’Autriche. Le ministre du roi Guillaume se récriait. A quoi bon les engagemens, à quoi bon même les traités écrits? L’Italie n’avait qu’à envahir la Vénétie ; la Prusse ne saura dans ce cas demeurer indifférente aux dangers que courrait son unique allié possible; le vieux Hohenzollern, à l’heure qu’il est encore récalcitrant à toute idée de guerre, se verra alors forcé de tirer l’épée, et l’organisation militaire si perfectionnée de la Prusse lui permettra de secourir à temps un roi galant homme... Les diplomates transalpins se refusèrent à ces belles insinuations, et l’huile de l’éloquence glissa sans laisser de trace sur le marbre de leur cœur. — Soit, dit-on à ces ergoteurs obstinés, on fera un traité, un traité éventuel, un traité secret ; dans ce traité, on stipulera que l’Italie commencera l’attaque. — Non, interrompirent les envoyés du général La Marmora, c’est la Prusse qui attaquera la première : il est trop bien démontré que l’Autriche ne fera jamais l’abandon volontaire de Venise, tandis qu’à Gastein elle a déjà été sur la pente de céder les duchés de l’Elbe... — On se renvoya ainsi pendant quelque temps le mot historique de Fontenoy, avec plus de persistance et moins de chevalerie que les gentilshommes du dernier siècle, et l’on finit par formuler le pacte de la manière qui suit. La Prusse se réservait de déclarer ou de ne pas déclarer la guerre à l’Autriche; mais aussitôt que la Prusse aurait pris l’initiative de la rupture de la paix, l’Italie s’obligeait de suivre cet exemple et d’attaquer de son côté. La guerre une fois éclatée, les deux puissances s’engageaient à marcher d’accord, à n’accepter de trêve séparée et à ne faire cesser les hostilités que lorsque l’Italie aurait obtenu le royaume lombardo-vénitien, et la Prusse des territoires équivalens en Allemagne. — Ce

  1. Cette virtù, nous enseigne Machiavel, est parfaitement conciliable avec la scetteratizza. Voyez Discorsi I, 10, au sujet de Septime-Sévère.