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le général La Marmora était loin encore de vouloir prêter les deux mains aveuglément à son confrère de Brandebourg. L’expérience de l’année précédente, la déception de Gastein, le rendaient méfiant et circonspect. Si cette fois encore la Prusse allait seulement menacer pour obtenir des concessions avantageuses, montrer l’alliance italienne comme un épouvantail à la Burg, afin de rendre M. Mensdorf plus accommodant dans les duchés ? L’Italie n’était pas assez riche pour payer les démonstrations belliqueuses de M. de Bismarck ; les partis dans la péninsule étaient par contre assez peu scrupuleux et équitables pour imputer à crime au gouvernement toute espérance déçue, toute entreprise avortée. Le ministre du roi Victor-Emmanuel résolut donc de ne pas faire trop l’empressé, de prendre ses sûretés ; avant tout, il répugnait à des préparatifs militaires qui pourraient bien être inutiles sans cesser d’être très dispendieux. Il y eut même un moment où à Paris on lui en voulut un peu de ses hésitations, de ses lenteurs, et le voyage du prince Napoléon à Florence, dans ces jours, ne fut point étranger, paraît-il, à ces préoccupations. Le 9 mars, le marquis Pepoli interpellait dans la chambre le chef du cabinet sur les affaires d’Allemagne. « Le moment n’est-il pas venu d’appeler sous les armes la levée de 1845 ? Les événemens sont très graves ; il faut profiter de l’occasion pour affirmer notre politique et fonder les alliances de l’Europe sur des bases nouvelles, sur la communauté des principes et des intérêts… Je vous parle en homme qui aime son pays ; je crois que la politique suivie jusqu’à cette heure n’est pas la politique qui convient aux intérêts de la nation… » Ceux qui connaissaient la situation toute spéciale et les liens de famille du marquis Pepoli virent dans ses paroles, à tort ou à raison, une véritable mise en demeure qu’adressait au président du conseil une influence auguste. Le ministre ne put naturellement que décliner un débat aussi délicat ; mais le même jour partait pour Berlin le général Govone, cet homme versé dans l’art militaire qu’avait demandé M. de Bismarck pour « donner une forme concrète à un accord éventuel. »

Ce qui devait ajouter à la circonspection, à la réserve du ministre italien, c’est qu’il ne voyait pas bien clair dans la politique française. Cette politique en effet, tout en favorisant à Florence la « dernière pensée » de M. de Cavour et en pressant même quelque peu l’éclosion, gardait pourtant à Paris, entre les deux puissances allemandes, un équilibre d’une précision vraiment désespérante ; la neutralité se montrait aussi bienveillante envers le Hohenzollern qu’envers le Habsbourg, et ne faisait jamais voir ce qui dans les affaires d’Allemagne pouvait « l’affliger ou la réjouir. » Pendant tout