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ment auquel on avait d’abord pensé à la suite de la déception de Gastein, et vu l’état du trésor. Le 18 novembre 1865, en inaugurant la nouvelle législature, le roi Victor-Emmanuel indiquait déjà « un changement profond, inévitable, qui était en train de s’opérer parmi les peuples, » et qui permettrait bientôt à l’Italie « de compléter ses destinées. » Si de telles phrases pouvaient passer à la rigueur pour le refrain obligé de tout discours du trône transalpin, il en était bien autrement de l’attitude gardée par le président du conseil devant la nouvelle assemblée. Grâce aux dernières élections, qui venaient d’avoir lieu sous l’influence des rancunes de Turin et du connabio déplorable entre les conservateurs piémontais et les garibaldiens, le général La Marmora se trouvait en présence d’une majorité hostile. Comme il était loin de vouloir réduire, avec la Gazette de la Croix, le mécanisme si compliqué de la vie parlementaire à une simple « question de loyer[1], » l’honnête ministre lutta courageusement pendant un mois, et cette obstination de la part d’un homme qu’on savait nullement avide du pouvoir donnait déjà beaucoup à penser aux fortes têtes de Florence. Le général, s’y disait-on, doit avoir des raisons majeures pour s’accrocher si fortement au portefeuille, quelque grande combinaison politique dont il tient à ne pas laisser échapper le fil de ses mains. Ces suppositions devinrent presque de la certitude lorsque, après avoir donné un moment sa démission à la suite d’un vote qui renversa le ministre des finances, M. Sella, on vit le président du conseil venir se représenter devant la chambre le 22 janvier 1866 avec un cabinet à peine modifié. Les événemens ne tardèrent point à justifier l’hypothèse. La semaine d’après, le gouvernement de Prusse ouvrait sa campagne contre la cour de Vienne ; pendant le mois de février, les pourparlers étaient incessans entre M. de Bismark et le comte de Barral à Berlin, entre M. d’Usedom et le général La Marmora à Florence ; enfin le 1er  mars, le lendemain du grand conseil politique et militaire tenu à Berlin sous la présidence du roi et avec l’adjonction de M. de Goltz, le ministre de Guillaume Ier demandait au gouvernement italien d’envoyer un homme versé dans l’art militaire pour débattre avec lui certains points importans et « donner une forme concrète à un accord éventuel[2]. »

La partie s’engageait d’une manière assez sérieuse, et toutefois

  1. « Les députés, disait la célèbre feuille prussienne au commencement de 1866, ne sont que les locataires de la chambre, et la question de savoir si et combien de temps ils y resteront dépend uniquement du bon plaisir du propriétaire. »
  2. Le Général La Marmora et l’Alliance prussienne. — C’est à cet écrit encore inédit, ainsi qu’à la publication de M. Jacini, que sont empruntés, dans ce récit, tous les détails sur les missions du général Govone à Berlin et du comte Arese à Paris.