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assez inquiétante même pour amener aussitôt un rapprochement sensible entre la France et l’Angleterre. Ce fut à ce moment (dans la seconde moitié du mois d’août) que les marines des deux pays se firent des visites courtoises à Cherbourg, à Brest, à Portsmouth, que les escadres cuirassées échangèrent entre elles des témoignages de sympathie et d’amitié, et c’est ainsi que se réalisait enfin, — bien tard, hélas ! — la démonstration maritime qu’avait sollicitée vainement, le comte Russell au début de la guerre des duchés. Lorsque aussitôt après (29 août) M. Drouyn de Lhuys écrivit une très remarquable dépêche contre la convention de Gastein. lord John Russell eut soin de s’inspirer des idées et d’imiter en maint passage jusqu’aux expressions du document français, dans la circulaire qu’il envoyait de son côté sur le même sujet. Depuis longtemps, depuis les malheureuses négociations sur la Pologne, on n’avait vu les deux cabinets marcher ainsi de concert et tenir un langage identique.

On ne tarda point à se convaincre toutefois que les suppositions du premier instant étaient exagérées, et que l’Autriche n’avait fait que céder à un moment de surprise et de faiblesse. Honteux de sa condescendance envers M. de Bismarck, effrayé de la désapprobation presque générale que l’arrangement du 14 août avait trouvée en Allemagne, rassuré enfin par l’attitude toute nouvelle de la France et de l’Angleterre, le cabinet de Vienne commençait à se redresser, à reprendre courage, et donnait des explications très satisfaisantes. Après tout, la convention de Gastein n’a fait que prolonger le provisorium, régler le condominium ; la question de droit demeurait intacte. En même temps, ainsi qu’on vient de l’indiquer, l’effervescence en Allemagne contre les théories et les pratiques, de M. de Bismarck allait toujours en croissant. Cet achat des pauvres Lauenbourgeois, « cédés comme un troupeau de moutons à tant de thalers par tête, » blessait profondément le sens intime de la Germanie ; de toutes parts on invoquait l’autorité du Bund, on protestait contre la vente des duchés, on affirmait le droit des populations de l’Elbe de statuer sur leur propre sort en toute liberté et indépendance. Dans de telles occurrences, la voie du cabinet des Tuileries semblait toute tracée, et celui qui dans ce cabinet dirigeait les relations extérieures n’aurait pas peut-être demandé mieux que de pouvoir la suivre jusqu’au bout.

En effet, et malgré sa bonne volonté d’être un homme moderne, le ministre du présent et de l’avenir, M. Drouyn de Lhuys n’en