ment irritée et toute prête à se désintéresser de ce qui arrivait. Voilà la terrible moralité de ces événemens. Une partie du peuple était devenue indifférente pour la république qu’on lui proposait de défendre, une autre partie de la société était effrayée. S’il y a eu une longue préméditation de coup d’état, il faut avouer que tout le monde y a bien aidé, les uns en épouvantant par leurs passions violentes, en faisant de la république une menace perpétuelle pour toutes les sécurités et pour tous les intérêts, les autres en cédant à l’épouvante. Par des chemins différens, on allait au même but ; on préparait ou on rendait possible ce qui est arrivé, et c’est ainsi qu’encore une fois la liberté allait être suspendue et ajournée pour longtemps. Si elle commence à reparaître aujourd’hui, si elle en est réduite à reconquérir pied à pied le terrain qu’elle a perdu, ce n’est pas précisément en renouvelant les mêmes fautes qu’on ferait ses affaires.
Il y eut un moment en Europe où cet heureux coup d’état du 2 décembre eut le plus beau succès et devint un signal de réaction, un encouragement pour tous ceux qui nourrissaient la modeste prétention de sauver leur pays ; il était fêté, célébré pour le bon exemple qu’il donnait, et il aurait trouvé partout des imitateurs. Aujourd’hui il a perdu sa popularité, on en revient depuis qu’il n’a plus aussi visiblement le vent dans ses voiles, et c’est vers la liberté qu’on marche, non plus peut-être avec les confiantes illusions et les faciles enthousiasmes qu’on portait autrefois dans ces luttes, mais avec ce sentiment qu’il n’y a plus que cette voie pour ceux qui veulent vivre et conduire sérieusement leurs affaires. Tout a contribué à ce mouvement depuis quelques années, l’impuissance des régimes arbitraires, les excès de la force, le développement des idées de nationalité, les guerres qui, en changeant la distribution des forces en Europe, ont créé pour les gouvernemens la nécessité de chercher de nouveaux points d’appui. C’est ainsi que l’Autriche elle-même s’est trouvée conduite par ses défaites, par sa mauvaise fortune sur le champ de bataille, à une transformation qui s’accomplit lentement, laborieusement. Ce qui arrivera de cette rénovation de l’empire autrichien, violemment rejeté hors de l’Allemagne et obligé de se refaire un équilibre, on ne peut certes le prévoir encore. Il y a tant de plaies à guérir, tant d’incohérences à débrouiller, tant de rivalités à concilier, que l’œuvre est assurément difficile. Ce qui doit frapper cependant et donner une bonne idée, c’est la fermeté avec laquelle le gouvernement autrichien marche dans la voie où il est entré, c’est sa bonne volonté évidente et la sincérité de son libéralisme. Les diètes provinciales de Bohême, de Moravie, de Galicie, qui viennent de se réunir, étaient pour lui une sérieuse et délicate épreuve, puisqu’il devait rencontrer une opposition portant sur le principe même de l’œuvre qu’il a entreprise, s’élevant contre ce dualisme qui est la figure politique de l’Autriche actuelle. Effectivement, dès l’ouverture des diètes cette opposition s’est manifestée