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de se concerter, de s’allier, de se confondre sous un même drapeau, de suppléer à l’insuffisance de leurs moyens matériels par la propagande des idées, et c’est ainsi que cette combinaison qui s’appelle l’union libérale naît tout à la fois de la situation créée par le gouvernement et de ce mouvement d’opinion qui se produit depuis quelque temps au nom de la liberté.

Il ne faut pas s’étonner d’ailleurs de ce bruit qui s’élève un peu de toutes parts et sous toutes les formes dans ce moment de renaissance publique. Les régimes de compression et de silence, qui se font toujours l’illusion de venir à propos pour réparer le tempérament éprouvé d’une société, ont de ces effets étranges, qui ne peuvent pas même être imprévus, et qui sont à peu près inévitables. Ils ne transforment pas autant qu’ils le croient la vie d’un peuple, ils la suspendent tout au plus pour quelques années en s’efforçant d’en détourner le cours. Ils ne tranchent pas, comme ils en ont la prétention, les questions redoutables qui ont occupé les esprits ou mis les passions aux prises, ils les ajournent sans les résoudre, en les compliquant au contraire quelquefois. Ils ne suppriment pas les événemens par lesquels ils se sont fondés, ils les recouvrent d’un voile et les dérobent à la discussion, jusqu’à ce que le jour vienne où, le régime étant à bout, les événemens sont interrogés de plus près, les passions, les problèmes, les intérêts, se réveillent, si bien qu’on a l’air de recommencer une histoire interrompue, de renouer le fil des choses. Comme ce moine espagnol professeur d’université qui avait été enfermé pendant des années et qui remontait dans sa chaire, comme Luis de Léon, on se surprend à répéter : « Je vous disais hier ! » On en est là un peu de toute façon ; sans méconnaître bien des choses qui ne peuvent plus s’effacer, on revient presque involontairement à la page du livre où le signet avait été mis de main de maître. C’est ce qui explique ces retours vers le passé, vers les origines du régime actuel. De ce 2 décembre accompli en un jour d’hiver, on n’a guère parlé depuis dix-sept ans, et, si on en avait parlé, ce qu’on aurait pu en dire n’eût pas excité peut-être une bien forte impression, tant le courant était ailleurs. On peut en parler aujourd’hui avec certains détails, on s’y intéresse comme si c’était un événement d’hier ; c’est que tout est changé, c’est qu’un souffle nouveau s’élève, c’est que la période du sommeil est achevée. De là le succès de ces livres de M. E. Ténot, Paris en décembre 1851, — la Province en décembre 1851, — que l’auteur n’aurait pas pu publier il y a dix ans, et qui ont maintenant un retentissement inattendu, parce qu’ils tombent au milieu d’une société occupée à s’interroger, à se chercher elle-même, à débrouiller l’obscurité de son histoire contemporaine. Elle en a pour quelque temps, et elle aura besoin d’être confessée plus d’une fois, cette société, avant d’avoir la conscience nette sur bien des choses.

Ce que raconte l’auteur n’est point sans doute absolument nouveau.