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français. Tout cela est possible, mais n’est vraiment pas facile. Ce qui pourrait atténuer la force de ces considérations économiques et changer cette situation est naturellement hors du domaine des conjectures rationnelles et des moyens diplomatiques ordinaires. Ce qu’on peut dire provisoirement, c’est qu’il ne paraît y avoir eu jusqu’ici aucune démarche directe et précise. Il n’y a eu aucune pression exercée par la France pour arriver à la réalisation d’un plan politique, et de ce côté encore tout est au repos ; il n’y a pas de bien gros nuages, du moins il ne s’est rien produit qui soit de nature à justifier de fiévreuses alarmes, rien qui ressemble à la recherche impatiente d’un succès diplomatique ou mieux encore à un préliminaire de guerre. A étudier ainsi, à décomposer des faits particuliers, on trouve bien vite que, réduits à leurs vraies proportions, ils n’ont plus qu’une signification partielle et secondaire.

Que reste-t-il donc pour expliquer cet état de panique perpétuelle où vit l’opinion, cette incrédulité à la paix qui est la maladie tenace et résistante du moment ? En dehors de faits particuliers qui ne sont rien, il reste une situation générale qui s’obstine, qui s’aggrave justement parce qu’elle se prolonge sans s’éclaircir, et où tout ce qui arrive, tout ce qui se produit est avidement saisi comme un signal attendu ou redouté. Il reste cette tension plus ou moins habilement dissimulée, mais réelle, entre deux politiques qui, au moment même où elles se font des caresses officielles, semblent toujours prêtes à se heurter. Il reste en un mot la question des rapports généraux entre la France et l’Allemagne, représentée par la Prusse. Tant que cette question ne sera pas résolue ou restera-dans ses termes actuels, la défiance persistera, et la situation ne fera malheureusement que s’envenimer. Il s’agit encore une fois de savoir si on veut la guerre ou la paix, et d’où peut venir le signal. Il est bien certain, on peut le voir facilement, que personne ne veut prendre l’initiative. Pendant que nous faisons des discours pacifiques, la Prusse congédie ses réserves, et ajourne de trois mois l’appel de son contingent militaire de l’année ; de part et d’autre, on tient à garder de bonnes apparences, et c’est là encore un hommage rendu à l’humanité, à la civilisation, à ce grand intérêt européen qui s’appelle la paix. Seulement chacun garde visiblement son arrière-pensée, et là est le danger. Allons un peu plus au fond.

D’où peut venir aujourd’hui la guerre ? Ce qui est bien certain, c’est que le désir de la paix est assez général et très vif en Allemagne, et on peut croire ce désir sincère, puisqu’il a pour garantie le sentiment d’un intérêt évident. La Prusse, cela est bien aisé à voir, se renferme dans une réserve trop habile, trop soigneuse, pour n’être pas calculée ; elle évite, on le sent, tout ce qui pourrait créer une difficulté, tout ce qui pourrait enflammer les impatiences nationales ou donner de l’ombrage aux autres puissances ; elle, s’abstient même depuis quelque temps de