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et j’ai naturellement, offert de ramener Mme e de Tocqueville. Nous serons à Paris, je crois, seulement vendredi.

« C’est une triste manière d’y arriver, et d’autres inquiétudes ne me permettront pas, je le crains, d’y rester longtemps ; mais dans l’état de brisement où je suis par suite de ce que je viens de souffrir et de tout ce que j’ai souffert depuis un an, ce me sera un vrai soulagement de serrer la main de quelques vrais amis comme vous et les vôtres. Communiquez, je vous prie, cette lettre à Mme Lenormant et à Mme Ozanam, qui sont de ces cœurs sur lesquels compte le mien. Adieu tendrement. »


Tocqueville mourait en avril : la chère malade, pour, laquelle Ampère avait tant tardé à venir et qu’il alla retrouver dès qu’il le put, mourait en septembre de cette même année (1859). Fidèle à sa mémoire, il continua de vivre soit en Italie, soit en France, auprès de la famille adoptive dont il avait partagé et contribué à adoucir les douleurs.

Au milieu de tous ces deuils, de toutes ces alarmes, l’étude avec lui ne perdait jamais ses droits. Le séjour de Rome fut fécond pour Ampère ; il y avait fait, depuis 1824, bien des voyages, mais dans les dernières années la ville éternelle lui était devenue une patrie. A force de la fréquenter et de la posséder dans ses antiquités, dans ses ruines, il s’y sentait, comme chez lui et y habitait en idée à tous les âges ; son imagination le transportait à volonté à une époque historique quelconque ou par-delà jusque dans les périodes légendaires, Initié à ce degré et mûri, il n’y put tenir, et il se dit un jour de récrire toute l’histoire romaine d’un bout à l’autre, depuis et avant Romulus jusqu’aux derniers empereurs, et en s’aidant à chaque pas. en s’autorisant des monumens de toute nature invoqués en témoignage. Le goût de l’antiquité pure et le génie du passé n’étaient pas tout dans son inspiration : en approchant de l’époque impériale et en la traversant dans ses principaux règnes, il avait un stimulant puissant et un motif de zèle dans sa haine contre le régime impérial ancien ou moderne, à toutes les dates : il commença déjà à lui faire la guerre et à lui décocher des traits bien avant César et de derrière le tombeau des Scipions. Sur cette histoire romaine d’Ampère, si considérable aujourd’hui (elle n’a pas moins de six gros volumes), si intéressante par parties, si instructive même, mais qu’il n’a pas eu le temps de fondre, et de composer en un tout harmonieux, je serai à la fois très franc et très humble. Et d’abord je, ne me sens point un juge compétent : cette érudition, si pleine, si nourrie, si fourmillante en quelque sorte, m’éblouit et me dépasse ; mais à d’autres égards je n’ai besoin que de mon bon sens tout, seul pour résister. En ce qui est des origines, je m’étonne qu’on puisse avoir un avis un peu probable sur bien des choses.