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jours à peine pourtant que dans un banquet périgourdin, à la suite du conseil-général, M. Magne, en bon ministre des finances, proclamait la nécessité et les bienfaits de la paix, à laquelle tout le monde est jaloux de rendre hommage. Celui-là devait le savoir, car il a dans les mains le nerf de la guerre, et il n’est pas disposé à le livrer à son terrible collègue le maréchal Niel. Eh bien ! M. Magne avait à peine ouvert devant son conseil-général ces flatteuses perspectives d’une paix durable que de tous les coins de l’horizon les nuages montaient de nouveau, que tous les bruits se remettaient à courir dans l’air, que tous les incidens étaient interrogés avec crainte, et plus que jamais l’opinion retombait dans ses perplexités, se demandant où est la vérité, où est la certitude.

À coup sûr, tout n’est pas également grave parmi les incidens qui passent à l’horizon de l’Europe, et que l’imagination publique se plaît à grossir quelquefois. Il y a les vrais « points noirs » immobiles et menaçans qu’il n’est pas facile de dissiper, et il y a ce qu’on pourrait appeler les petits nuages, des questions qui peuvent sans doute un jour ou l’autre prendre une certaine importance selon les événemens, mais qui par le fait ne se rattachent que d’une manière très indirecte à la situation générale. Quand on a vu récemment une difficulté s’élever entre la Hollande et la Prusse au sujet de la navigation du Rhin, on s’est dit tout naturellement, puisqu’il s’agissait du Rhin, que c’était là peut-être le commencement, et du premier coup d’œil on a vu se dessiner les choses, la Prusse menaçant la Hollande, la France allant au secours des Hollandais ; c’était le signal de la grande lutte. Au fond, la question était vraiment plus simple. La Hollande, on le sait, est en possession des bouches du Rhin, et par la convention de Mayence, qui remonte à 1831, elle s’est engagée à maintenir libre jusqu’à la mer la navigation de deux de ces branches rhénanes, le Leck et le Waal. Ce n’est pas sur ce point que la difficulté s’est produite. Seulement, lorsqu’on a négocié un nouveau traité, la Prusse a demandé qu’on ajoutât aux deux embouchures déjà livrées à la navigation la Meuse et la Meerwede. Il en résultait que quelques-uns des fleuves intérieurs les plus importans de la Hollande passaient sous le contrôle et la juridiction des puissances riveraines, parmi lesquelles la Prusse jouait le principal rôle.

C’est là que le cabinet de La Haye a résisté. À la rigueur sans doute cette résistance a eu un mobile politique. La Hollande, depuis les agrandissemens prussiens, est restée dans un certain état d’émotion et de susceptibilité ; elle n’a pas voulu livrer ses fleuves à ceux contre qui elle pouvait avoir à les défendre, et il n’est point impossible d’un autre côté qu’elle n’ait été encouragée d’une façon plus ou moins avouée par quelque autre puissance, de telle sorte que jusqu’à un certain point, si l’on voulait, on pourrait voir dans cette affaire spéciale comme une ébauche d’un antagonisme plus général, comme un élément de compli-