Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/498

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 septembre 1868.

La France, par la faute des hommes ou par la fatalité des choses, se débat en vérité dans une des situations les plus inexplicables qu’elle ait traversées depuis longtemps. Elle a beau s’ingénier à comprendre ce qui se passe autour d’elle et en elle-même, elle unit par ne plus savoir où elle en est, et elle se sent d’autant plus agitée, d’autant plus inquiète, que tous les efforts qu’on prodigue pour la rassurer n’aboutissent qu’à épaissir l’obscurité. Elle ne peut faire un pas sans se heurter contre des sphinx devant lesquels elle perd son aplomb, non certes par une défaillance d’énergie ou de patriotisme, mais parce que son bon sens est troublé et humilié des confusions et des contradictions qu’on laisse trop souvent s’introduire dans la politique. À quoi peut-elle s’arrêter dans ce tourbillon au sein duquel elle vit ? Si on lui parle de la guerre, elle repousse évidemment cette idée ; elle se sent attachée à la paix de toute la force de ses instincts et de ses intérêts. Si on lui parle de la paix, elle voudrait y croire, mais elle n’y croit pas ; elle entrevoit la guerre à travers les déclarations embrouillées et insuffisantes par lesquelles on cherche à la tranquilliser ; elle se défie en un mot, et un des signes les plus caractéristiques de cet état maladif de l’opinion, c’est assurément la facilité avec laquelle tous les bruits sont accueillis, exagérés ou dénaturés, sans doute parce que tout est considéré comme possible. Nous en sommes venus à ce point qu’un régiment ne peut être déplacé ou rappelé d’Afrique sans qu’on le voie aussitôt en marche sur le Rhin, et qu’il ne peut y avoir une adjudication de poudre de chasse au ministère des finances sans qu’on mette cette innocente poudre, qui ne doit tuer que du gibier, au compte des approvisionnemens de la prochaine campagne. Et c’est tout simple : le vice incurable des situations fausses, c’est qu’elles prêtent à toutes les conjectures et encouragent toutes les crédulités. Il y a quinze