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« Monsieur le commandant d’Olmutz m’ayant annoncé que, d’après ma demande de passer huit jours à Vienne pour y consulter les médecins, sa majesté impériale ne permet dans aucun cas que j’aille à Vienne, et ne permet que je sorte de cette prison qu’à la condition de n’y plus rentrer, j’ai l’honneur de lui répéter ici ma réponse. J’ai dû à ma famille et à mes amis de demander les secours nécessaires à ma santé, mais ils savent bien que le prix qu’on y met n’est pas acceptable pour moi. Je ne puis oublier que, tandis que nous étions prêts à périr, moi par la tyrannie de Robespierre, M. de Lafayette par les souffrances morales et physiques de sa captivité, il n’était permis ni d’obtenir aucune nouvelle de lui ni de lui apprendre que nous existions encore, ses enfans et moi. Je ne m’exposerai pas à l’horreur d’une autre séparation. Quels que soient donc l’état de ma santé et les inconvéniens de ce séjour pour mes filles, nous profiterons toutes trois avec reconnaissance de la bonté qu’a eue sa majesté impériale en nous permettant de partager cette captivité dans tous ses détails. Je prie monsieur le commandant de vouloir bien agréer mes complimens.

« NOAILLES-LAFAYETTE. »


Jamais victime indignée et résignée n’a parlé à ses bourreaux un plus fier langage. Mme de Lafayette faillit payer de sa vie sa généreuse résolution, ses jambes enflées lui causaient de vives douleurs, elle avait sans cesse la fièvre. Elle resta un an dans cet état sans qu’on apportât aucun adoucissement au régime de la prison. Ce fut alors qu’avec un cure-dent et un peu d’encre de Chine, car on lui refusait aussi de l’encre et des plumes, elle écrivit sur les marges d’un volume de Buffon sa pieuse notice sur sa mère.

L’âme des autres captifs n’était pas moins inébranlable. Un général autrichien fut envoyé par l’empereur pour leur offrir la liberté, s’ils prenaient l’engagement de ne jamais rentrer dans ses états. Lafayette et ses deux amis refusèrent de s’engager, et les portes de leur prison se refermèrent. Cependant les armes françaises triomphaient de l’Autriche en Italie. Le général Bonaparte et le général Clarke, plénipotentiaires français, exigèrent à Campo-Formio que les prisonniers d’Olmutz fussent délivrés ; ils sortirent de prison sans condition au mois de septembre 1797, après cinq ans de captivité ; Mme de Lafayette et ses filles avaient partagé leur sort pendant deux ans. Les deux époux se rendirent, pour soigner leur santé ruinée, dans la propriété que Mme de Tessé, sœur du duc d’Ayen, avait achetée en Holstein, sur le bord d’un lac ; ils y trouvèrent Mme de Montagu et d’autres membres de leur famille. Le fils du général accourut d’Amérique pour les revoir ; il apportait les félicitations de Washington, qui l’avait reçu avec une affection