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sollicitude. « Elle s’occupait de tout, dit Mme de Lasteyrie, même de nos amusemens ; elle se livrait aux soins de notre éducation, comme elle l’eût fait dans une situation tranquille. Le matin, elle se promenait avec nous, et dehors, près de quelque ruisseau, en face de nos charmantes montagnes, elle nous faisait d’agréables lectures. » Quand elle fut conduite à Paris, elle dut les laisser sans ressources et obligés en quelque sorte de vivre de charité. « Les paysans de la commune nous apportaient de bon cœur ce qu’il nous fallait pour subsister ; nous avons vécu de l’argent que les gens du village prêtaient avec un touchant empressement à ma tante. Chaque jour, on annonçait qu’on allait la mettre, ainsi que ma sœur, à la maison d’arrêt de Brioude, et conduire mon frère et moi à l’hôpital. » On vendit même le château et les meubles de Chavaniac. Dans sa prison, Mme de Lafayette écrivit un testament tout plein d’une religieuse exaltation. Après la mort tragique de sa grand’mère, de sa mère et de sa sœur, elle écrivait à ses enfans : « Dieu m’a préservée de la révolte contre lui, mais je n’eusse pas supporté l’apparence d’une consolation humaine. » Plus tard elle terminait la vie de sa mère par ces mots : « L’idée de suivre des traces si chères eût changé en douceur les horreurs du dernier supplice. »

A peine sortie de prison, la noble épouse n’eut qu’une pensée, rejoindre son mari et partager son sort, quel qu’il fût. Le général avait été enfermé dans la forteresse d’Olmutz, c’était tout ce qu’elle savait ; par un raffinement de sévérité, on avait interdit au prisonnier d’écrire à sa famille. Avant de partir, elle voulut mettre son fils en sûreté, et l’envoya en Amérique avec une lettre pour le général Washington, son parrain ; puis elle se rendit à Vienne avec ses deux filles, et obtint une audience de l’empereur d’Autriche. Elle y demanda uniquement la permission de partager la prison de son mari, ce qui lui fut accordé non sans peine. La santé du général avait été profondément altérée par trois ans d’une rigoureuse captivité ; il ne savait que vaguement ce qui s’était passé en France et n’avait même pas été prévenu de l’arrivée de sa femme. MM. de Latour-Maubourg et Bureaux de Puzy, ses aides-de-camp, détenus dans la même forteresse, n’avaient avec lui aucune communication. Mme de Lafayette dut se soumettre avec ses filles au rude régime de la prison. On ne leur permit pas d’entendre la messe, quoiqu’elle se dît dans une église attenant au bâtiment où elles étaient renfermées. On leur refusa une femme pour les soins du ménage, on leur refusa même des fourchettes, et elles durent manger avec leurs doigts. Le général leur donnait l’exemple en disant qu’il l’avait vu faire aux Iroquois. La courageuse captive tomba gravement malade ; elle demanda à sortir quelques jours de prison pour consulter les médecins, mais on lui répondit qu’elle ne sortirait qu’à la condition de ne plus rentrer ; elle refusa. On lui demanda une réponse, la voici :