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sorte d’homme de cour, et que des circonstances au moins extraordinaires ont renvoyé au milieu de ses rochers sauvages, d’où il n’aurait jamais dû sortir… »

Au retour de l’île d’Elbe, quand il fallut reconstituer un gouvernement et distribuer les principaux emplois, Frochot fut proposé à l’empereur pour la préfecture de la Seine. Aucune nomination ne devait être plus agréable au conseil municipal ; mais le temps pressait, l’Hôtel de Ville ne pouvait attendre, et Frochot n’était pas là. L’empereur le nomma préfet des Bouches-du-Rhône. Frochot n’accepta que par dévoûment la mission qui lui était confiée. Marseille était alors peu commode : le parti légitimiste y avait établi son quartier-général, d’où il dirigeait la résistance que les provinces du midi opposaient au rétablissement de l’empire. Frochot sut maintenir le calme, et lorsque le 25 juin 1815, à la nouvelle du désastre de Waterloo, l’insurrection comprimée depuis deux mois éclata dans la ville, il put, par son intervention courageuse, arrêter l’effusion du sang. Peu de jours après, il quittait Marseille au milieu d’une sorte d’ovation populaire, hommage tout exceptionnel en ce temps d’effervescence politique et dans cette région de la France où la réaction royaliste allait se montrer si ardente. Frochot recevait la récompense de cette probité modeste qui, à Paris, lui avait conservé tant d’amis lors de sa disgrâce, et qui, à Marseille, commanda le respect de ses adversaires politiques, même après la chute violente du gouvernement qu’il avait servi.

Frochot avait alors cinquante-quatre ans, et l’heure de la retraite était définitivement venue pour lui. Nous voici à la dernière période de cette vie si accidentée, période pleine de calme et de recueillement, l’ombre après tant de lumière. Comment essaierions-nous de refaire ce tableau, qui a été tracé de main de maître dans une notice que M. Sainte-Beuve a récemment écrite sur Frochot ? « Les dernières années de sa vie, dit M. Sainte-Beuve, se passèrent à la campagne, à Étuf, sur les confins de la Haute-Marne et de la Côte-d’Or, dans une ferme qu’il acheta, qu’il exploita de ses mains, où il prit au sérieux les occupations agricoles les plus positives, aimant à se dire « cultivateur. » Il y adapta, selon les terrains, divers modes d’assolement ; il y introduisit et y acclimata certains arbres et une race troëne particulière. Il ne considérait plus sa bonne et sa mauvaise fortune d’autrefois que comme des rêves dont il défendait le mieux qu’il pouvait son imagination, moins attristée encore qu’attendrie. Ainsi qu’il arrive souvent aux hommes frappés d’un grand et fatal accident qui a brisé à jamais en eux une illusion de toute une existence, il se rejetait et se plongeait dans les impressions de la nature, dans les travaux et même