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violences dont il avait failli récemment être victime. « Les mœurs, disait-il, voilà le véritable fondement des républiques, c’est là ce qui leur assure la prééminence sur les autres formes de gouvernement ; mais c’est aussi ce qui rend leur établissement plus difficile et leur durée plus incertaine… Ce n’est pas assez de haïr les rois, il faut encore oublier leurs maximes ; ce n’est pas assez de vouloir la république, il faut avoir les vertus qu’elle exige. » Tout en acceptant la république, Frochot doutait singulièrement de ces vertus. Sa profession de foi était au fond des plus tièdes. Elle lui était commandée par l’état général des esprits et par l’influence croissante du jacobinisme, influence contre laquelle il ne pouvait plus désormais lutter qu’en adoptant le principe républicain.

La petite république d’Aignay devenait de plus en plus turbulente. Le club, dont les réunions avaient lieu le mardi, n’était fréquenté que par les. purs jacobins : les habitans paisibles, qui s’étaient montrés assidus pendant les premières semaines, n’avaient point tardé à reconnaître qu’il n’y avait pour eux aucun profit ni aucun plaisir à entendre les déclamations patriotiques du médecin ou du perruquier ; ils finirent par rester chez eux, laissant les clubistes pérorer dans le vide. Frochot fut accusé d’avoir, par son modérantisme, « neutralisé la pétulance républicaine. » Il proposa de fixer les réunions au dimanche. « Tout le monde, dit-il, ne peut venir dans la semaine ; chacun a son travail, ses occupations ; n’en accusons pas nos concitoyens. Tel qui a préféré labourer son champ a ce jour-là bien servi la patrie, » Cette proposition n’eut d’autre effet que de le brouiller avec les curés du canton, qui craignaient de voir leurs ouailles délaisser l’église pour le club. Bref, une forte cabale s’organisa contre lui, et ses ennemis provoquèrent « un scrutin épuratoire qui déblayât la société du modérantisme dont elle avait été souillée. » Frochot sortit à son honneur de cette nouvelle lutte. Il se rendit à toutes les séances de la société, se justifia publiquement par des discours qui eussent été vraiment dignes d’une autre tribune, dit en face à ses concitoyens « qu’il y avait à Aignay, comme dans toute la France, deux sortes d’hommes, les intrigans et les peureux, » et il obtint à ce fameux scrutin épuratoire une majorité écrasante ; mais il était dégoûté de ces combats continuels, et il finit par donner sa démission de membre de la société populaire. En temps de révolution, les choses se passent toujours ainsi : les modérés se lassent, les gens tranquilles restent chez eux, et le parti violent demeure infailliblement maître du terrain.

Nous voici au 14 juillet 1793. L’assemblée primaire du canton d’Aignay est convoquée pour accepter ou refuser la constitution