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pendant que l’adversaire parlait. On a trouvé dans les archives de Frochot la feuille de papier sur laquelle Mirabeau, lors de la fameuse discussion sur le droit de paix et de guerre, prépara instantanément l’admirable réponse qu’il fit à Barnave.

En voyant avec quelle violence d’argumens et de langage Mirabeau attaquait souvent les actes des ministres et les manœuvres de la cour, il était bien difficile de soupçonner qu’il reçût en secret des subsides de la cassette royale. On le supposait riche de la succession de son père, qui était mort en juillet 1789 ; mais cette succession se trouvait compromise par de nombreux procès, et d’ailleurs l’existence peu ordonnée que menait Mirabeau, jointe aux frais extraordinaires que lui coûtait l’organisation de son cabinet politique, l’aurait promptement ruiné. Dès son entrée aux états-généraux, il était à bout de ressources. En septembre, il écrivait au comte de La Marck « qu’il manquait du premier écu, » et il acceptait un prêt de cinquante louis ! Lafayette, qui avait été mis au courant de ses embarras, lui offrit à cette époque une somme de cinquante mille livres sur la liste civile ou une ambassade. Mirabeau refusa : les cinquante mille livres ne l’auraient point sauvé ; une ambassade l’eût éloigné de la tribune, où le retenaient son ambition et ses goûts. Cependant à la fin de l’année il lui fallut céder. Par l’entremise du comte de La Marck, il accepta du roi le paiement de ses dettes, qui s’élevaient à plus de deux cent mille livres, une pension mensuelle de six mille livres et des billets pour une somme de un million, payable à l’expiration de l’assemblée nationale. Le marché ainsi conclu, le grand orateur devenait le stipendié de la cour, et cependant avec quelle hauteur, on pourrait presque dire avec quelle indépendance, il portait sa chaîne dorée ! Ceux-là mêmes qui le payaient étaient confondus de son audace. La reine Marie-Antoinette, épouvantée par cette parole dont les échos semblaient ébranler le trône, se disait trahie. C’est que Mirabeau, résolu dès le premier jour à faire triompher la révolution, mais décidé en même temps à sauver la royauté, demandait à ces deux clientes ce que chacune d’elles pouvait lui donner : à l’une la popularité, à l’autre l’argent qui lui était nécessaire pour soutenir son double rôle. Son attitude et son langage, après comme avant le pacte secret qui le liait à la cour, demeurèrent fidèles à ses opinions. Il se laissa payer pour agir et pour parler comme il l’aurait fait, si l’état de sa fortune privée ne l’avait point obligé à accepter un subside. Certes il ne faut point excuser cette grave faute de l’orateur politique. Tout homme qui se voue aux affaires publiques doit premièrement se mettre à l’abri du moindre soupçon qui soit de nature à diminuer l’autorité de sa parole ou de ses écrits. Il