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l’assemblée constituante, on voit qu’en toute occasion, grande ou petite, sur les moindres incidens comme sur les plus graves questions constitutionnelles qui s’agitaient alors pour la première fois, il prenait la parole et exprimait son opinion, non point à coups d’éloquence, mais dans des discours qu’il avait préparés avec le plus grand soin, et dans lesquels la méditation et la lente étude éclairaient les inspirations de son génie. Ce fut là le secret de sa puissance oratoire. Politique, diplomatie, législation, finances, il savait tout ; il discutait sur toutes choses avec une supériorité incontestable. Son atelier de collaborateurs lui fournissait des argumens pour toutes les causes, des armes pour toutes les luttes. Comme il avait l’ambition très haute, il voulait qu’aucun décret, aucun vote ne fût proclamé dans l’assemblée sans sa permission, et il travaillait en conséquence. Si l’éloquence était en lui naturelle comme la passion, elle n’arrivait que comme l’auxiliaire d’un labeur acharné. Ce fut par le travail que Mirabeau acquit tant d’influence et atteignit à la gloire. A cet égard, Frochot, qui travaillait avec lui et pour lui, est un sûr témoin.

Il n’est pas indifférent de connaître les procédés de travail du plus puissant orateur de la révolution. À cette époque, les plus importantes discussions roulaient sur des questions de principes. Très rarement on débattait ce que l’on appelle aujourd’hui les questions d’affaires. Les économistes, après la chute de Turgot, jouissaient d’un médiocre crédit, et les statisticiens n’avaient point encore accumulé ces gros volumes de chiffres où les orateurs des tribunes contemporaines vont s’approvisionner si facilement pour leurs discours. Les grandes discussions appartenaient donc au domaine des théories constitutionnelles et législatives, elles s’inspiraient des enseignemens de l’histoire et surtout des doctrines philosophiques empruntées aux publicistes du XVIIIe siècle ; on y entendait fréquemment des échos de Voltaire et des lectures de Rousseau, dont le Contrat social était pour les jeunes esprits une sorte d’évangile politique. Dans ces débats solennels, les discours étaient le plus souvent écrits. Mirabeau, avec sa grande facilité de parole, se conformait à l’usage général. Il écrivait ses exordes et ses péroraisons, et ne se laissait aller à l’improvisation que dans les développemens du discours, non sans avoir mûrement préparé l’ordre et les termes mêmes des argumens. Quand il devait répondre à un adversaire, à Barnave, à Cazalès, à Maury, ses amis prenaient des notes, et le soir on se livrait en commun à un long travail pour le discours du lendemain. Ordinairement c’était Frochot qui recueillait les notes et faisait l’office de secrétaire. Quelquefois, Mirabeau impatient s’emparait de la plume et traçait rapidement le plan de sa réponse