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former avec l’homme le plus populaire de la révolution un ministère qui, remplaçant Necker et Montmorin, aurait représenté avec plus d’autorité le roi devant la nation et la nation devant le roi. Qui sait ce qu’il fût advenu de cette combinaison qui, au moment où elle occupa l’esprit de Mirabeau, pouvait arrêter le mouvement révolutionnaire, dissiper les illusions et les craintes de Louis XVI, combler l’abîme qui allait se creuser de plus en plus profond entre le souverain et le peuple ? Necker, qui voyait sa position menacée, para le coup en faisant voter par l’assemblée nationale la loi qui interdisait à tout député d’accepter le ministère. Ce vote fut le commencement du suicide de la royauté. Il consacra le divorce entre l’ancien régime et les hommes nouveaux ; il isola le roi de la nation, il priva la cour des dévoûmens qui auraient pu la servir en l’éclairant et lui apporter le concours de la popularité, puisée aux sources mêmes de ta représentation nationale. — Nous avons eu depuis cette époque autant de révolutions que de régimes politiques. A quoi donc sert l’histoire, si elle ne démontre pas que ces révolutions sont nées le plus souvent de la composition même des ministères, formés de personnages qui n’avaient jamais eu ou qui avaient perdu le prestige nécessaire de la popularité, ou que la seule volonté du souverain prenait en dehors des mobiles désignations de l’opinion publique et des ambitions légitimes qui s’agitent dans les assemblées ? Ainsi, dès le début de la lutte qui devait s’engager fatalement entre l’ancien régime et le nouveau, une loi malencontreuse, inspirée à Necker et à ses collègues par l’ambition de conserver le pouvoir en écartant les compétiteurs, à l’assemblée nationale par un faux scrupule d’indépendance, venait anéantir le moyen le plus efficace de rapprochement et de conciliation. Les hommes éloquens, influens, pénétrés du sentiment national, Mirabeau, Barnave et tant d’autres dont les noms ornent cette première et immortelle période de nos annales parlementaires, se voyaient éloignés du pouvoir. L’action leur était ravie, et avec elle l’honneur et le devoir de la responsabilité, qui impose la modération. Il leur restait la parole, mais la parole irresponsable, qui s’emporte si vite, qui s’enivre au bruit des applaudissemens, qui trop souvent s’égare dans les déclamations périlleuses avant de s’élever jusqu’à l’éloquence. La constituante aurait pu donner à Louis XVI des ministres et à la France nouvelle des hommes d’état ; malheureusement elle fut condamnée de par la loi à n’avoir que des orateurs, et au lieu de former un gouvernement elle prépara l’ère des tribuns.

Mirabeau ne pouvait donc pas être ministre ; son action n’en fut pas moins grande. Portant la parole tantôt contre les conseillers