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jusqu’à la révolution, si le premier essai du régime représentatif aboutit à la chute de la royauté, à la convention et à la terreur, ces conséquences échappaient aux prévisions et trompaient cruellement les espérances du tiers-état.

Frochot arrive à Versailles pour l’ouverture des états-généraux. Le 5 mai 1789, il assistait à la séance royale, remplie par les discours de Louis XVI et de ses ministres, et levée brusquement après le compte-rendu financier de Necker. La cour savait que dans cette séance même, en présence du roi, Mirabeau voulait poser et faire résoudre la grande question de la réunion des trois ordres. Il avait préparé un discours dont le brouillon, écrit tout entier de sa main, a été trouvé dans les papiers de Frochot. Voici en quels termes à la fois respectueux et fermes s’exprimait le futur tribun : « Achevez votre ouvrage, ô prince magnanime ! vous avez eu la haute pensée, le sentiment vertueux de soumettre votre prérogative même à la discussion de ce peuple, de qui tout pouvoir émane sans doute, mais dont les acclamations vous donneraient le sceptre, si déjà vous ne le possédiez. Pourriez-vous hésiter à faire examiner par ce même peuple les réclamations hautaines de certains privilégiés qui voudraient préjuger une question sur laquelle la volonté générale peut seule prononcer ? Ne confiez pas aux préjugés des ordres ce qui doit être réglé par la raison de tous. Ne hasardez pas le fruit de la plus belle action de votre règne. Ne rejetez pas le seul moyen que vous ayez de connaître l’opinion, le vœu vraiment national. Il est digne de votre majesté de craindre d’influer par sa présence sur nos délibérations ; mais, si l’on est parvenu à élever quelques doutes dans son esprit sur la justice de nos demandes, les communes supplient votre majesté de permettre que cette grande discussion qui va décider du sort de cette assemblée et peut-être de la monarchie soit débattue devant vous. Vous discernerez bientôt alors de quel côté sont la justice, la vérité, les bonnes intentions, le zèle pour le trône et l’amour pour votre personne sacrée. » Sur le papier qui renferme ce projet de discours, Frochot a écrit : « Le discours ne fut pas prononcé. Le roi s’y attendait, et aussitôt que les ministres eurent fini de parler, il se leva et rompit la séance. » Manœuvre impuissante pour étouffer l’unanime volonté du tiers-état. La réunion des trois ordres était et devait être le premier acte du nouveau régime représentatif. Elle était réclamée dans tous les cahiers ; les députés les plus modérés n’admettaient sur ce point capital ni hésitation, ni transaction. Le parti de la cour, qui comptait opposer aux exigences prévues de la bourgeoisie l’intérêt et le dévoûment du clergé et de la noblesse, ne gagna rien à la suppression du discours que Mirabeau avait préparé pour la séance du 5 mai.