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— Soit, mais une personne qui n’est pas sûre de sa jeunesse et de sa beauté ne se montre pas d’emblée ; elle commence par échanger cinq ou six lettres pour amadouer son juge et sauver le premier coup d’œil.

— Voilà qui est un peu mieux raisonné. Continue. Tu n’as pas besoin de prouver qu’elle est dévote et provinciale. Veuve ? sa signature me l’a dit. Riche ? elle le prétend, je veux le croire, et peu m’importe ; mais où diable vois-tu qu’elle pense au mariage et que son ambition ne s’arrête pas à mi-chemin ?

— La preuve qu’elle veut t’épouser, mon cher Étienne, c’est qu’elle ne le dit même pas. Elle indique simplement qu’elle t’aime et qu’elle veut se charger de ton bonheur, car elle est de celles qui ne comprennent pas l’amour, sinon honnête, le bonheur, sinon légitime. Chaque ligne de sa lettre respire la droiture et la sincérité.

— Pourquoi donc ces détours, ce mystère et ces défiances ? De qui se cache-t-elle ? Quel est l’homme qui l’accompagne et qui l’observe ? Il a des droits bien absolus sur elle, ce monsieur ! Devines-tu par quels motifs cette chaste provinciale, qui ne craint pas de signer son billet doux, me défend de la saluer dans la rue ? Veuve ou non, à coup sir elle est moins libre qu’elle ne le dit.

— Si tu veux que je te réfute par des faits, je ne m’en charge pas, Bersac ne m’ayant point honoré de ses confidences ; mais si tu voulais te contenter d’une bonne hypothèse bien plausible, je te dirais : « Cette jeune femme est gardée à vue par la famille de son ancien mari. » Dans quel intérêt ? je l’ignore, mais nous pourrons le savoir en cherchant bien. Remarque qu’elle s’appelait Mme de Garennes, c’est-à-dire qu’elle appartenait à la petite noblesse de sa province ; elle a cru déroger en épousant le vieux Bersac, et la preuve c’est qu’elle signe son nom de famille à la suite de l’autre. Pourquoi dis-je le vieux Bersac ? C’est elle-même qui m’y autorise en écrivant : « Le ciel me doit ma part de bonheur, et Dieu sait que je l’ai bien gagnée. » Donc Bersac avait soixante-dix ans, et je t’en félicite. Dans quel pays as-tu vu qu’une jeune fille bien née épousât un vieillard de cet âge si elle était bien dotée ? Donc cette jeune et jolie Hortense n’avait rien. Elle te dit maintenant qu’elle est riche ; la fortune vient donc du mari. Bersac a fait une folie au grand dépit de ses héritiers, et il a constitué, comme il convient, de beaux avantages à sa femme. Comprends-tu maintenant quelle est cette famille qui lui conseille d’entrer au couvent ? Ce n’est pas la famille d’Hortense, c’est celle du défunt ; elle nous l’apprend elle-même, si nous savons lire : la famille, dit-elle, et non ma famille. Ces gens-là seraient trop heureux de se débarrasser d’elle, parce que tout ou partie de son douaire doit faire retour aux collatéraux. Je ne puis pas deviner tout, mais je vois clairement qu’on en veut