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sensible dans les périodes récentes. Ainsi elle était en 1858 et 1859 d’environ 600 millions, et elle a plus que doublé depuis 1861[1]. Aux revenus annuels perçus dans les diverses régions du monde, l’Angleterre ajoute la somme des profits qu’elle réalise dans son immense commerce et celle des commissions qu’elle perçoit. Quand on évalue la quotité des frets touchés pour les transports maritimes et l’ensemble des commissions obtenues pour les opérations de commerce et de banque, on s’explique aisément l’énorme excédant des importations sur les exportations de ce puissant royaume : l’énigme se trouve résolue. Tout peuple qui fait les transports pour le compte des autres acquiert une rémunération qui lui permet de payer les importations des produits : il a commencé par exporter des services rendus. Une nation exclusivement maritime peut rapidement s’enrichir ainsi ; tel a été le levier de la fortune des Hollandais lorsqu’ils étaient comme les rouliers de la mer.

L’Angleterre se trouve dans une situation singulièrement favorable pour acquérir le revenu que procurent les intérêts des placemens faits, le prix du fret ou le paiement des marchandises exportées. Servant d’intermédiaire au commerce de beaucoup d’autres peuples, conduisant lui-même un commerce colossal dans toutes les parties du monde, ce pays est devenu le grand centre des affaires et des opérations de banque. Sans doute depuis un certain temps l’importance absorbante de ces relations, tout en restant considérable, tend à diminuer ; le nouveau régime commercial adopté par de grands états du continent, en multipliant les rapports extérieurs, a créé des relations directes qui ont permis de laisser de côté l’intervention de la Grande-Bretagne, de réaliser l’économie des commissions et des profits qu’on lui payait. « La tendance de notre époque, dit M. Goschen, est de mettre en rapport plus intime et plus direct le producteur et le consommateur par l’élimination des intermédiaires. » Toutefois, si Londres n’est plus l’entrepôt universel des marchandises pour les marchés étrangers, si les négocians anglais ne fournissent plus presque tout le continent de coton, de café, de sucre, de thé, et se trouvent privés ainsi d’une partie des produits qui dérivaient des frais de commission et de transit, il n’en est pas moins vrai que les relations acquises, les habitudes contractées, la puissance du crédit, retiennent encore à l’avantage

  1. En faisant la somme des exportations et des importations de l’Angleterre pendant la période décennale comprise entre 1858 et 1867, on voit qu’elle à exporté pour une valeur de 47 milliards de francs et importé pour une valeur de près de 60 milliards de francs. Au dire des partisans de la balance du commerce, l’Angleterre aurait donc perdu plus de 12 milliards en dix ans, elle serait ruinée. Une appréciation plus exacte ne voit dans cet excédant des importations que l’équivalent des bénéfices réalisés.