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suivant les époques ; on s’en est servi d’abord pour satisfaire les nécessités particulières du commerce et pour établir l’équivalence réelle des monnaies, dont la valeur peut être ainsi appréciée suivant la quotité du métal fin qu’elles renferment. Le change, dans cette acception primitive que retient encore l’office secondaire de nos changeurs, a pour résultat la rectification du cours des monnaies. Dans le monde ancien, dans le moyen âge et jusqu’au XIXe siècle, les altérations et les falsifications constantes du numéraire imprimaient à cette action du change un caractère de grande utilité ; il la conserve encore en ce qui touche la circulation fiduciaire et la monnaie de papier. Le change, déjouant les précautions jalouses des lois oppressives qui prétendaient le restreindre, a toujours assuré le libre mouvement des capitaux ; il a triomphé des limitations et des interdictions du prêt à intérêt. Si sous ces deux aspects le progrès de la législation et les usages des nations modernes ont rendu l’intervention du change moins nécessaire, si le rôle qu’il remplissait dans l’ancien système de la balance du commerce s’est singulièrement transforme, il a conquis une grande importance comme régulateur du. marché universel et comme mesure de la condition monétaire des états.

Il n’est peut-être pas de problème plus grave que celui du change ainsi considéré. Chose singulière, il n’en est point en même temps dont l’étude ait été plus rarement abordée de nos jours d’une manière sérieuse. Cependant les relations du commerce international, dans lesquelles le change occupe une place considérable, se sont multipliées dans des proportions colossales. Le mouvement prodigieux des capitaux, les entreprises qui font appel au concours de cet énergique levier, les emprunts publics et les ressources du crédit privé, la mobilisation des titres qui représentent les parts d’une propriété ou d’une créance commune et qui permettent sous une forme simple et commode d’en opérer le transfert et le transport, l’impulsion donnée aux entreprises par actions, qui existaient dans le passé, mais auxquelles le rapide accroissement des capitaux a donné des dimensions gigantesques, tous ces élémens réunis créent une situation nouvelle. Fidèle aux principes de liberté et d’équité dont il a toujours été l’infatigable ministre, le change maintient la bonne foi, dans les rapports et la justice dans les transactions ; il prévient les désastres, il modère les entraînemens de la spéculation. N’oublions jamais ces paroles de Montesquieu, plus vraies et plus décisives aujourd’hui que jamais : « Le change a ôté les grands coups d’autorité ou du moins le succès des grands coups d’autorité. »

Un homme de mérite, M. Juglar, qui a obtenu plus d’une foi