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en quoi leur règle était-elle plus sûre que la mienne, et avaient-ils même une règle ? Y avait-il donc déjà en français un tel essai systématique pour qu’on se montrât si exigeant et si intraitable du premier coup ? À quoi bon tant d’amertume et d’âcreté de ton pour des particules ? Était-ce donc d’une grammaire rentrée que mes adversaires se sentaient malades et souffrans ? Il y aurait eu bien des choses en ce sens, et même de jolies choses à dire. Ampère, si fait pour les trouver, mais trop habitué à l’atmosphère des salons et à leur tiède haleine, trop tendre aux caresses de l’amitié, dès qu’il s’offrait une difficulté, une lutte à soutenir, lâchait la partie, même quand il avait raison. Je connais de lui bien des articles de complaisance, je n’en connais pas un de polémique.

De polémique, il n’en a jamais fait que dans ses dernières années quand il s’avisa de déclarer la guerre à un gouvernement, — une guerre d’allusions à travers l’histoire romaine ! mais jamais, — au grand jamais, — il n’eut l’idée d’engager un duel littéraire ou même une discussion serrée avec un adversaire ayant nom. Ç’a été, selon moi, une faiblesse.

Le livre (non pas le cours) fut donc interrompu ; l’arbre fut coupé à l’endroit précisément où il allait s’élancer et croître : on n’en eut que des fruits épars. Les beaux articles sur le Roman de la Rose, sur Joinville, sur Amyot, ces chapitres détachés d’un cours qui était tout composé et tissu de semblables morceaux furent arrachés de temps en temps à l’auteur par la Revue des Deux Mondes, et ils sont faits pour donner la mesure de ce qu’on n’a pas. On m’assure que les parties de la renaissance sont dans un état assez avancé de rédaction pour permettre à M. de Loménie de les donner. Un ingénieux discours sur les Renaissances, qui a paru imprimé, nous présente comme une carte en relief de toutes les littératures européennes décrites comparativement et figurées à ce point de vue. On a comme une échelle des hauteurs, des formes et des degrés de culture.

Ampère, très suivi dans les dernières années par des personnes des deux sexes, était vraiment le professeur de littérature française le plus approprié à son époque. Les grands travaux improvisés de M. Villemain avaient fait leur temps ; on n’avait pas à les recommencer, non plus que le talent prestigieux du professeur-orateur. On était devenu plus rassis et plus positif. On voulait des faits, on voulait suivre pas à pas son guide et reprendre avec lui et après lui les mêmes lectures. Ampère était l’homme de ce moment, et sa noble et large impartialité d’esprit, sa connaissance directe des autres littératures, l’usage et la familiarité qu’il en avait de longue main, le sentiment juste des rapports (ce sentiment qui semble