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Les tendances autrichiennes de M. Drouyn de Lhuys ne tardèrent pas cependant à subir une épreuve redoutable. La politique de conciliation et d’apaisement venait à peine d’être inaugurée qu’éclatait subitement l’insurrection polonaise (janvier 1863), insurrection fatale et qui à coup sûr fut loin d’entrer dans les calculs ou les désirs du gouvernement français. Le gouvernement français n’apprit d’abord qu’avec un vif déplaisir le soulèvement de Varsovie ; il espéra aussi en apprendre bientôt la prompte répression. En attendant, il résolut de complètement l’ignorer, et certes on ne saurait lui en faire un reproche. Dans cette douloureuse question polonaise, où en irritant l’oppresseur on ne fait qu’aggraver les ineffables tortures de la victime, il est du devoir de toute politique sensée et honnête de s’abstenir rigoureusement alors que l’on ne veut ou ne peut vigoureusement intervenir. Ce mot de tout ou rien, qui est généralement le mot d’ordre du désordre même et de la folie, devrait être pour l’Europe le premier commandement de la sagesse et de la loyauté dès qu’elle arrête sa pensée sur les bords désolés de la Vistule : il n’y a point de milieu ici entre une réserve absolue et une action énergique… Il ne fut pas malheureusement donné alors au cabinet des Tuileries de maintenir jusqu’au bout la réserve qu’il s’était imposée dans les premiers momens. L’émotion populaire en France, les démonstrations tapageuses et quelque peu insidieuses de l’Angleterre, lui créaient une position pénible, « perplexe ; » mais ce fut surtout la conduite singulière de l’Autriche qui le dérouta d’abord et qui finit par l’entraîner dans la suite. A l’étonnement du monde en effet, le gouvernement de Vienne ne se méfiait nullement de l’insurrection polonaise, la laissait passer, la favorisait d’une manière très ostensible, et pratiquait à son égard tout un système de « connivences. » La situation prenait ainsi un aspect tout nouveau, et M. Drouyn de Lhuys y vit un trait de lumière. Il entrevit tout à coup la possibilité d’entreprendre en commun avec le gouvernement de Vienne une œuvre de justice, de restauration et de bonne politique ; il crut l’Autriche, l’Autriche de M. de Rechberg, capable d’une conception grandiose, d’une action héroïque, et il engagea la campagne en faveur de la Pologne.

Certes dans cette campagne malheureuse le cabinet français a commis plus d’une faute, s’est rendu coupable de plus d’une équivoque, certes la conduite à la fois placide et perfide du cabinet de Saint-James dans ce tournoi diplomatique mérite un jugement bien plus sévère encore ; mais, il serait malaisé de le nier, c’est surtout le cabinet de Vienne qui portera dans l’histoire la responsabilité de la dernière et sanglante tragédie de Varsovie et de Wilna. L’Autriche en 1863 pouvait entrer résolument dans la voie où M. Drouyn