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dans la foule de lettres ou d’écrits polémiques qui précédèrent l’imposante apparition de Junius. Ses recherches sont habilement conduites, et il persuadera plus d’un lecteur. Nous ne voyons aucune forte raison de lui contester que Francis soit l’auteur d’un pamphlet fort remarqué dans son temps où sont établis les vrais principes sur le jury en matière de presse, tels qu’ils ont été défendus plus tard par Junius et consacrés par le bill de M. Fox[1]. M. Parkes tient beaucoup à emporter ce point, comme à faire admettre que, sous le nom d’emprunt de Candor, Francis occupa sans cesse la presse et que sous d’autres pseudonymes, Anti-Sejanus, Cato redivirus, One of the people, Poplicola, Corregio, etc., il alimenta la rédaction du Public Advertiser pendant les six ans qui s’écoulèrent de son premier début à la première lettre de Junius (février 1763-janvier 1769).

On doit pourtant remarquer ici que rien dans les papiers laissés par Francis, rien dans sa correspondance n’établit formellement cette coopération si active aux controverses du temps. Il ne parle à aucun des siens dans ses lettres d’une seule ligue qu’il ait imprimée. Il se montre occupé comme tout le monde des principaux incidens du débat, rien de plus ; mais il faut se rappeler qu’à d’autres momens de sa vie il a souvent gardé le secret sur des publications dont l’objet cependant lui tenait au cœur, et qu’à cette époque, simple commis dans un ministère, fils d’un écrivain ministériel, obligé de ménager ceux dont il dépendait, et dont quelques-uns étaient ses protecteurs, il devait dissimuler avec soin son concours aux attaques de l’opposition et même taire ou du moins atténuer les opinions qui le mettaient avec elle en sympathie. Si l’on demande de quel droit on lui attribue aujourd’hui ces opinions qu’il n’exprimait pas, il faut répondre que, dès qu’il a pu devenir un homme public, il les a professées avec la dernière vivacité, et que son tempérament comme son tour d’esprit le prédestinaient à la résistance et à l’agression. D’ailleurs il n’est pas tellement réservé que ses penchans politiques ne se laissent entrevoir. Ainsi l’on peut facilement distinguer, pendant la période qui nous occupe, ses dispositions à l’égard du gouvernement. Il regrette Pitt ; il admire et sa politique et son éloquence. La puissance de lord Bute est celle d’un favori, elle le blesse et lui pèse. Il suffit que George Grenville l’ait remplacé et n’ait rien d’un ministre de cour pour qu’il s’attache à lui, et quand la question de l’Amérique s’élève, il la résout comme lui. Une grande partie de la correspondance officielle lui passe par les mains, et il

  1. C’est l’écrit intitulé : An Enquiry into the doctrine lately propagated concerning libels, Londres, Almon, 1764.