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de secrétaire de lord Kinnoul, nommé ministre en Portugal. Pendant huit mois que dura cette mission, Francis fit apprécier le talent de rédaction qu’il avait de bonne heure acquis. On a conservé de son séjour quelques lettres à son père qui ne sont pas dépourvues d’intérêt. Il y jugeait la civilisation portugaise avec le dédain d’un Anglais, et ne montrait de sympathie que pour l’entreprise formée par le gouvernement contre les jésuites. L’hostilité de Francis à l’égard du célèbre institut n’était pas médiocre. Elle s’aggravait encore de la liberté de ses opinions en matière religieuse. Dans les extraite qu’il a laissés de Bacon, de Locke, de lord Kaimes, il s’attaque au premier sur l’existence de l’âme et ne cache pas que les preuves du christianisme ne l’ont pas satisfait. C’étaient là des idées assez communes de son temps, quoique les Anglais d’aujourd’hui aient de la peine à le reconnaître, et, quand ils veulent bien en convenir, s’étonnent grandement qu’on osât ne les point cacher.

C’est le moment de sa vie où Francis fut présenté à Pitt, et pendant le peu de temps que dura encore son ministère employé de temps en temps par lui comme secrétaire. On cite des anecdotes qui prouvent que Pitt distingua bien vite la promptitude et la sûreté de son intelligence ; mais ces relations passagères paraissent être les seules qu’il ait eues avec le grand commoner. Toutefois elles l’autorisèrent à le reconnaître vingt ou trente ans après dans la chambre des communes pour le protecteur et le guide de sa jeunesse. Elles l’attachèrent d’une manière générale à sa politique : non qu’il ait suivi toutes ses opinions, approuvé tous ses actes, il s’en faut de beaucoup ; mais l’allure fière, le ton de hardiesse et les principes généralement populaires de Pitt dans ses bons momens exercèrent sur cette jeune imagination un empire qui ne s’est jamais entièrement effacé. Ses biographes ne veulent pas qu’il ait approché personnellement lord Chatham à aucune autre époque.

Il n’avait pas vingt-deux ans lorsqu’il épousa Elisabeth Mackrabie. Ce mariage, que l’inclination décida seule et qui pour cette raison le sépara quelque temps de son père, est le premier acte de sa vie qui le fasse connaître pour un homme passionné. Il y trouva du bonheur, mais sa position fut loin d’être améliorée. Aussi, malgré ses relations avec Pitt, dont il vit avec regret la politique abandonnée par ses successeurs, se laissa-t-il employer confidentiellement par lord Holland pendant la crise ministérielle d’où sortit le cabinet de lord Bute, et il demeura attaché quelque temps à la secrétairerie d’état. Cependant il n’y apprit pas à approuver les négociations qui préparèrent la paix de 1763, et quoiqu’il eût espéré accompagner en France Hans Stanley, qui en fut le premier négociateur, il jugea avec sévérité le duc de Bedford, qui fut en définitive