littérature du XIVe siècle, je me demande ce qu’on eût dit d’une suite de discours d’Ampère sur chaque grand siècle du moyen âge. Il y eût apporté peut-être une érudition moins exacte de textes et de transcriptions ; mais pour l’intelligence, pour l’étendue, pour le contraire du chauvinisme en littérature, pour le véritable esprit critique, pour la classification naturelle des genres et l’orientation à travers les ensembles, il n’y aurait pas eu de comparaison. Et je ne parle point ici par hypothèse, car ces discours d’Ampère, je les ai entendus ; ces leçons je les ai suivies avec tout un fidèle auditoire pendant des années. Il n’aurait eu qu’à écrire ensuite, à recueillir, à revoir, à corriger et à compléter, à faire passer le travail de l’état de leçons à celui de livre, et l’on posséderait la meilleure histoire de la littérature française, qui eût défié les progrès de l’érudition et de la critique pour vingt-cinq ans au moins, ce qui est la plus longue vie d’un cours de littérature.
Ampère aimait à citer un mot du libraire Ladvocat, qui lui avait dire un jour de cet air impertinent qu’il affectait : « L’histoire littéraire, c’est à refaire tous les quinze ans. » Il citait ce mot d’un libraire jadis à la mode avec un certain rire amer et ironique, et comme pour s’excuser lui-même de n’avoir pas mené à fin son œuvre dans cette voie.
Mais, je le répète, tout se passait volontiers pour Ampère en préparations. Il se faisait de singulières illusions sur la longueur de la vie et sur l’espace qui est accordé à chacun de nous pour réaliser ses desseins ou ses rêves. Je trouve à la date de 1835, dans un cahier dénotes à moi, la remarque suivante qui était évidemment à son adresse :
« Qui ne sut se borner ne sut jamais écrire, cela est vrai des préparations et des recherches auxquelles on se livre dans les entreprises littéraires ; il faut ne rien négliger, tout rechercher, tout accueillir, puis mettre une fin à ce premier travail, et arriver à l’exécution, à la composition. Vous passez votre vie, mon ami, à faire des projets, des plans, à amasser des matériaux ; vous passez votre vie à vous préparer à vivre. Vous vous êtes levé dès avant l’aurore ; vous êtes en campagne tout le jour, vous faites des recrues en toute contrée, il vous en vient de tous les points de l’horizon ; ce n’est jamais assez à votre gré : il vous en faut du fond de la Laponie, il vous en faut du plus lointain Orient, c’est bien ; mais prenez garde, au train que vous suivez, de passer le jour entier aux préparatifs et de ne livrer bataille qu’à sept heures du soir, après que le soleil sera couché. Les uns, comme Viguier, perdent de bonne heure la bataille, et le reste de leur vie n’est qu’une défaite errante, une vague dispersion ; les autres, comme Fauriel, ne livrent pas la bataille, tant ils sont lents à tout rassembler. »