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fin, net et proportionné. Il n’a fait qu’effleurer la Laponie, mais l’aperçu qu’il en a tracé est vivant et s’anime, jusque dans sa réalité, d’un souffle de sympathie humaine. Les profils qu’il donne des hommes distingués du nord, des poètes et littérateurs de talent, les font aussitôt comprendre par les côtés principaux qui nous intéressent : Atterbom, OElenschlæger, Tégner, désignés par lui en quelques mots, cessent de nous être étrangers. Il a des accens particulièrement vrais pour nous exprimer la science et l’érudition locale, profonde, originale, communicative et naïve, à laquelle il a dû des heures d’affectueux commerce et de douce hospitalité : il a su s’en assimiler l’esprit et l’âme en courant. Dans tout ce qu’il a vu si vite et qu’il a si bien saisi, il choisit les points qui nous laissent une agréable idée et qui donnent envie d’en savoir davantage. Des rapprochemens ingénieux, imprévus, un fonds de bonne humeur spirituelle, une pointe de plaisanterie et de gaîté, se font jour à chaque instant dans son récit et amènent le sourire. Enfin ces cent pages relues sont intéressantes d’un bout à l’autre ; rien n’y est à côté, rien n’y est de trop ; on n’y relèverait pas une seule ligne qui fatigue ou qui détonne, et l’on peut se dire encore aujourd’hui : Tel était Ampère en personne dans un salon, animé, racontant et causant.

Un ou deux passages, une Nuit sur le Cattegat par exemple, cette traversée d’un bras de la Mer du Nord près du Sund, se ressentait du contact habituel de Chateaubriand écrivain, et avait un air de grandeur qui devait appeler l’applaudissement du maître : c’était le morceau soigné, solennel. Varia di bravura.

On me dit qu’en cette année 1827 (et ce ne put être que dans les tout derniers mois) Ampère refit une rapide tournée en Italie avec Adrien de Jussieu et M. Victor Le Clerc : il passait ainsi volontiers d’un climat à l’autre, il aimait ces sortes de contrastes et de brusques antithèses d’impressions et de pensées, ces sortes de bains russes intellectuels. Il s’y plongeait tête baissée, il en jouissait en dilettante de l’esprit.

Son apprentissage dans l’enseignement public se fit à l’Athénée de Marseille, nouvellement fondé : il y professa dans les premiers mois de 1830. Ce premier cours, dans lequel il paraît avoir apporté plus d’entrain et de vivacité de parole qu’il ne fit plus tard dans les chaires de Paris, a laissé un long souvenir à Marseille, si j’en juge par une étude su ? Ampère, publiée par M. Tamisier, un des témoins et auditeurs de ce temps-là[1]. Le sujet du cours fut précisément la littérature du nord, dont Ampère était tout rempli.

  1. Étude historique et littéraire sur J..-J. Ampère, par M. P. Tamisier, bibliothécaire de l’Athénée de Marseille, 1 vol. in-18, Paris et Marseille, 1864.