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qu’il se propose d’adopter, c’est là, pour le gouvernement français, un impérieux devoir comme la plus naturelle prudence. Quoi qu’on en dise vulgairement, la diplomatie est aujourd’hui bien peu mystérieuse ; elle a peu de secrets, et elle ne réussirait guère à les garder : pour peu qu’il ait de clairvoyance et d’activité, il est facile à un grand gouvernement de n’être pas trompé et de bien connaître, avant d’agir, ce que pensent et feront de leur côté ses voisins.


IX

De tous les faits que je viens de rappeler, une conclusion ressort avec évidence : c’est sur la France et la Prusse que porte le poids de la situation actuelle et de la responsabilité qui s’y attache ; c’est la perspective d’un duel entre ces deux puissances qui excite l’inquiétude générale et tient les esprits en perplexité et les affaires en suspens. Il y a déjà plus de deux ans que les faits qui auraient pu déterminer le duel se sont accomplis ; de la part de quelques-unes des puissances européennes, des traités ont consacré ces faits ; par d’autres, ils ont été notoirement acceptés ou admis en silence. Le duel a été ajourné. Reste-t-il probable et inévitable ? Peut-il être rejeté dans les ténèbres d’un lointain avenir ? C’est de la conduite des deux puissances engagées dans cette question que cela dépend ; mais que ni l’une ni l’autre, ni aucune des puissances européennes encore simples spectatrices, ne se fassent illusion ; si la lutte éclatait, elle cesserait bientôt de n’être qu’un duel. Il y a des maladies matérielles et individuelles auxquelles les savans contestent aujourd’hui le caractère de contagieuses ; les maladies morales et sociales le sont maintenant plus certainement et plus rapidement que jamais. Je ne m’arrête pas à dire pourquoi. Je tiens pour assuré que, si la guerre commençait entre la France et la Prusse, la contagion belliqueuse, avec passion ou à regret, gagnerait bientôt presque toute l’Europe ; la guerre a pu être cantonnée en Crimée et en Italie ; elle ne le serait pas longtemps en Allemagne, centre et théâtre des grandes nations et des grandes ambitions européennes. Personne ne peut prévoir quelles seraient toutes les conséquences d’un tel mouvement, ni lesquels des belligérans y succomberaient, ni combien tous en souffriraient, ni quelles nouvelles faces prendraient les gouvernemens européens. Je suis convaincu que la France et la Prusse sont très éloignées de vouloir déchaîner sur l’Europe cette violente et obscure tempête ; cependant qu’elles y prennent garde : elles sont bien grandes, mais l’avenir qu’elles ont entre les mains est plus grand qu’elles, et elles en sont