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combinaisons de la pensée solitaire. D’après ces faits et ces vraisemblances morales, je présume qu’aujourd’hui, dans la question de paix ou de guerre qui s’élève à l’occasion des événemens d’Allemagne, malgré les regrets et les déplaisirs qu’il doit naturellement éprouver, l’empereur Napoléon est plus disposé à la paix qu’à la guerre, et qu’il cherchera plutôt à laisser se fermer peu à peu les blessures de la France et les siennes propres qu’à les envenimer en courant de nouveaux hasards.

On dit qu’il y a autour de lui, même dans son conseil, des partisans de la guerre ; on prête aux ministres de la guerre et de la marine le désir de prouver que les forces militaires qu’ils viennent d’organiser sont en état de braver toutes les chances et d’assurer à la France la victoire. Je comprends ce sentiment de la part de vaillans et capables guerriers ; mais le maréchal Niel et l’amiral Rigault de Genouilly sont aussi des hommes trop sensés et de trop bons citoyens pour ne pas subordonner leur sentiment personnel à celui de leur pays et à la politique générale de son gouvernement. L’énergique et habile défenseur de cette politique dans les assemblées délibérantes du régime impérial, M. Rouher, s’est constamment prononcé pour la paix, sans doute par conviction personnelle comme pour remplir sa mission officielle.

Je ne parle pas des partisans que peut avoir la guerre en dehors du gouvernement et dans telle ou telle fraction du public ; après tout ce qui s’est passé en France depuis trois quarts de siècle, il ne se peut pas qu’il n’y ait point parmi nous des esprits hardis, brillans, spécieux, prompts à tout concevoir et à tout tenter, et pour qui la guerre est un vaste champ de combinaisons et de chances où se joue audacieusement leur pensée. Je doute que, s’ils avaient à porter le fardeau et la responsabilité du gouvernement, ils s’adonnassent si librement à pareil jeu, et en tout cas ils ne me paraissent pas en mesure d’exercer sur les résolutions des grands pouvoirs. de l’état une sérieuse influence. Je ne vois en France aucun parti, aucun homme, que la politique de la paix ait vraiment à redouter. C’est de la pensée et de la volonté de l’empereur Napoléon lui-même et lui seul que dépend son sort.

Il n’y a aujourd’hui en Angleterre nul homme qui, sous les conditions d’un gouvernement libre, dispose à peu près de la politique extérieure de son pays, comme l’ont fait longtemps sir Robert Walpole, M. Pitt, même lord Castlereagh et lord Palmerston ; mais le cabinet anglais ne contient, et celui qui lui succédera, si sa succession vient à s’ouvrir, ne contiendra très probablement aucun membre qui ne soit favorable à la politique de la paix, devenue la politique générale et populaire de l’Angleterre. Le ministre actuel des