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de la paix ou de la guerre sont aujourd’hui le plus considérables. Dès son entrée sur la scène politique, sa situation a été compliquée ; il est monté au pouvoir sous une double étoile, l’étoile de son nom, nom de guerre et de grande aventure, l’étoile de l’ordre et de la paix, gravement compromis en France et en Europe par la révolution de 1848. C’est en flottant entre ces deux étoiles et sous leur influence alternative que depuis son avènement il a vécu et régné.

La paix a été d’abord maintenue. Le rétablissement de l’ordre, d’un ordre trop arbitraire pour n’être pas précaire, a été chèrement acheté. Cela fait, l’empereur Napoléon III a voulu donner aussi satisfaction à son étoile aventureuse et guerrière ; il a fait en Crimée et en Italie deux guerres spécieuses et brillantes, au Mexique une guerre chimérique et malheureuse. C’est beaucoup, c’est assez, ce me semble, pour l’acquittement de la dette de Napoléon III envers le nom et les exemples de Napoléon Ier. C’est là, je n’hésite pas à l’affirmer, le sentiment de la France et aujourd’hui, si je ne me trompe, celui de l’empereur Napoléon III lui-même.

En 1855, j’eus l’honneur de le voir, comme directeur de l’Académie française, pour lui demander son approbation à l’élection de M. Ponsard en remplacement de M. Baour-Lormian. C’était pendant la guerre de Crimée ; Sébastopol n’était pas encore pris, le résultat pouvait paraître incertain. Après ma mission académique, l’empereur voulut bien me retenir et me parler de l’état des affaires dans la Mer-Noire. Il se montra préoccupé surtout de l’issue de la guerre, des diverses voies par lesquelles on pouvait en sortir et des arrangemens diplomatiques qu’il y aurait à prendre pour prévenir la nécessité de recommencer une si chanceuse entreprise. Je fus frappé de la perplexité de son esprit, de sa prudente inquiétude, de sa modération, je me permettrai de dire de sa modestie dans ses désirs et ses vues. Je le quittai persuadé que, s’il avait fait volontiers cette guerre, il ferait encore plus volontiers la paix.

Je ne pense pas que la guerre d’Italie avec les graves embarras qui se sont joints et qui survivent à ses succès, ni la guerre du Mexique avec sa lamentable issue, aient beaucoup fortifié dans l’âme de l’empereur Napoléon le goût de la guerre et des problèmes méconnus ou imprévus qu’elle soulève. Je ne sais s’il conserve encore toute cette foi dans sa destinée, toute cette confiance dans sa fortune, qui ont longtemps caractérisé sa conduite et sa vie. L’expérience des mécomptes et des revers est un lourd fardeau à porter pour les plus obstinés optimistes ou fatalistes. D’ailleurs l’âge vient, et avec l’âge des intérêts moins personnels et des préoccupations autres que celles des fantaisies de l’imagination ou des