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la confiance qu’à tout prendre cette loi sera efficace pour la puissance militaire permanente et éventuelle de la France. Je ne sais pas bien s’il y a du trop ou du trop peu dans les mesures financières qui l’ont accompagnée ; mais là aussi l’efficacité est réelle, et ce doit être notre préoccupation dominante. J’ajoute que je suis très touché de l’abolition de l’exonération, comme d’une satisfaction morale donnée à l’honneur de la législation et de la carrière militaire. Je prends plaisir à reproduire ici les belles paroles du général Trochu : « On écarte par là de l’esprit des familles la pensée que l’état consacre l’équivalence entre l’impôt ou le devoir des armes et l’argent. On écarte de l’esprit des troupes les habitudes de spéculation[1]. »

Maintenant que, sans troubler la paix, la France a fait par des mesures législatives et administratives acte de prévoyance et de puissance, la Prusse désire-t-elle la guerre ? la rendra-t-elle inévitable ? nous donne-t-elle, par son état intérieur et ses dispositions, autant de raisons de nous y attendre que de nous y tenir prêts ?

La Prusse est, jusqu’ici du moins, une puissance ambitieuse, non pas une puissance révolutionnaire ; elle n’est pas en proie à ces idées et à ces passions d’une portée indéfinie qui poussent les peuples hors de leur sphère naturelle et les lancent sur le monde comme des météores imprévus et déréglés. L’ambition de la Prusse est une ambition allemande ; c’est à conquérir matériellement et moralement la domination en Allemagne qu’elle aspire. La France républicaine enflammait et envahissait l’Europe tout en protestant, sincèrement d’abord, contre tout désir et tout dessein de conquête ; ce sont des conquêtes et des conquêtes dans une région déterminée que poursuit et fait quant à présent la Prusse monarchique. Elle était monarchique quand Frédéric II l’a faite conquérante, elle est restée monarchique dans ses jours de mauvaise fortune, elle reste monarchique en rentrant dans l’ambition des conquêtes. Même au sein de l’ambition, une monarchie ancienne et bien établie est astreinte à certaines limites dans ses desseins et conserve certaines habitudes de prudence ; un pouvoir héréditaire et régulier au dedans tempère les conceptions et les prétentions les plus hardies.

Il y a de plus en Prusse un parti plus préoccupé de ses libertés au dedans que de ses conquêtes au dehors, et qui aspire à fonder un gouvernement libre plutôt qu’à porter au loin les frontières nationales. Ce parti libéral compte dans son sein quelques-uns des hommes les plus distingués et les plus considérés non-seulement en Prusse, mais dans toute l’Allemagne et en Europe. Plus d’une

  1. L’Armée française en 1867, p. 272.