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fait passé ; je les regretterais pour eux-mêmes d’abord et comme des théâtres très propres, par leurs limites mêmes et leur régime intérieur, à certains développemens des esprits et des caractères, à une certaine virilité individuelle et domestique, qui languissent et s’effacent dans les grands empires. Je regretterais aussi les petits états dans l’intérêt de la France et sur ses frontières ; ils étaient pour sa sécurité et sa politique des garanties et des points d’appui efficaces. Le feu roi Guillaume de Wurtemberg, que je citais tout à l’heure, me disait un jour : « Si nous pouvions vraiment compter sur le gouvernement français, sur sa stabilité et son bon vouloir sérieux, non pas pour nous tenir sous sa dépendance et à son service, comme faisait l’empereur Napoléon de la confédération du Rhin, mais pour nous soutenir dans notre existence et nos droits allemands, nous formerions en Allemagne, la Bavière, la Saxe, le Hanovre et le Wurtemberg, les quatre rois, comme on dit, avec plusieurs de nos petits voisins, une confédération capable de tenir un peu la balance entre l’Autriche et la Prusse, et de concourir à la sûreté de notre grand voisin français, comme à la paix européenne ; mais, dans la situation isolée et précaire où on nous laisse, que pouvons-nous ? » C’était encore quelque chose que ces petits états isolés, qui n’avaient du moins aucun pouvoir et presque jamais aucune envie de nous nuire. Nous avons perdu sur le Rhin, comme sur les Alpes, cette modeste, mais efficace ceinture ; nous ne sommes plus en présence que de grands voisins que d’un jour à l’autre les circonstances peuvent rendre pour nous, à nos pertes, de redoutables ennemis.

Le gouvernement français a bien fait de prendre contre de telles chances des mesures sérieuses militaires et financières. Je ne suis pas sûr que les lois qu’il a proposées à ce sujet aient été les meilleures possible pour le but qu’il avait à poursuivre ; j’incline à croire qu’une prolongation du service militaire et une amélioration plus notable dans la condition des hommes de guerre, soldats comme officiers, auraient plus efficacement fortifié l’armée permanente en permettant d’alléger, dans la garde nationale mobile, le nouveau fardeau imposé à la population. C’est là l’idée qu’ont laissée dans mon esprit la préparation et la discussion, auxquelles jadis j’ai pris part, des deux grandes lois de recrutement que la France a dues au maréchal Gouvion Saint-Cyr et au maréchal Soult ; mais, quelque sérieux que soit à cet égard le dissentiment, il est d’une importance secondaire à côté du fond et du caractère général de la nouvelle loi qu’a fermement et habilement soutenue M. le maréchal Niel. Elle aggrave, il est vrai, pour la partie de la population qui n’est pas vouée à la vie des armes, le devoir militaire envers le pays ; mais j’ai