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confédération, et regardent leur sort et leur vœu comme accomplis depuis qu’ils y sont incorporés ? Les esprits sensés et fermés ne sauraient être à ce point dupes des mots et des apparences ; il faut voir les faits tels qu’ils sont et les appeler de leur vrai nom : les idées et les mots de nationalité et d’unité allemande ont joué un rôle bruyant dans le grand événement de 1866, mais ils n’en constituent point le vrai et sérieux caractère. Ce caractère, c’est un changement radical, accompli par une puissance allemande et à son profit dans l’état politique de l’Allemagne et de l’Europe : il n’y a plus de confédération allemande, il n’y a plus de lutte ni d’équilibre entre deux grands états allemands ; il n’y a plus d’indépendance ni de moyens assurés de résistance pour les états allemands-secondaires. Le fait de Sadowa est un fait d’agrandissement et de conquête accompli par la force militaire de la Prusse et par son influence dans l’ordre intellectuel allemand ; c’est l’œuvre de Frédéric II reprise et poursuivie par son peuple plus que par ses successeurs sur le trône ; c’est une puissance belliqueuse, ambitieuse et habile qui a décidément pris place parmi les plus grandes puissances de l’Europe.

Certes il y a là, pour les anciennes grandes puissances, de quoi se préoccuper fortement et prendre bien garde. Ce nouvel état de l’Allemagne leur fait à toutes, surtout à la France, une situation nouvelle et pleine de chances obscures. Il leur eût été facile de la prévenir ; facilement elles auraient pu, par voie d’influence et de diplomatie, résoudre la question qui s’agitait entre l’Allemagne et le Danemark au sujet du Holstein et du Slesvig. Elles auraient ainsi étouffé une guerre qui n’a résolu cette petite question qu’en en soulevant tant d’autres et de bien plus grandes ; mais la prévoyance et la résolution ont également manqué dans cette circonstance aux grandes puissances européennes : par faiblesse envers les passions allemandes, l’Autriche a commis la faute énorme de s’unir à la Prusse pour écraser le Danemark ; par hésitation ou par de mauvais calculs d’avenir, le gouvernement français, non-seulement n’a pas pris dans cette affaire l’initiative qui lui appartenait, il s’est refusé à la proposition d’action commune et au besoin décisive que lui faisait le cabinet anglais ; la Russie, dont la géographie et les liens de famille semblaient faire la protectrice naturelle du Danemark, n’a parlé que pour l’acquit des convenances, bien aise au fond d’assister aux divisions, aux incertitudes et à l’inertie des grandes puissances de l’Europe occidentale. La Prusse seule a agi à propos et avec vigueur, poursuivi un but nettement déterminé et pratique ; elle s’est mise à la tête de l’événement danois ; il était naturel qu’elle seule profitât du succès et de ses résultats.