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Le roi de Wurtemberg pressentait dès lors les difficultés que rencontreraient et les erreurs que soulèveraient en Allemagne quelques-uns des principes politiques qui ont- heureusement influé sur les destinées de la France. Il y a dans la façon dont on entend et dont on exploite aujourd’hui presque dans toute l’Europe deux de ces principes, la nationalité et l’unité, un verbiage et une charlatanerie par lesquels il n’est pas permis à des hommes sensés de se laisser abuser ou intimider. Non-seulement la diversité des races et des langues, dans ces sociétés organisées qu’on appelle une nation et un état, est un fait qui de tout temps s’est introduit et maintenu dans l’histoire ; mais ce fait a puissamment contribué au développement moral et social des hommes, au progrès de la civilisation générale ; il entre évidemment dans le plan de la Providence divine sur le genre humain.

Je n’en dis pas plus ici sur ces prétendues lois d’une politique chimérique ou hypocrite, et je rentre dans l’appréciation des faits et des droits réels desquels dépend aujourd’hui le maintien ou la ruine de la paix et de l’ordre en Europe.

Depuis et pendant des siècles, l’Allemagne a été une confédération d’états indépendans, bien qu’inégaux, unis entre eux dans une certaine mesure et par certains liens. Les règles, les formes, les noms, la portée de cette confédération, ont varié d’époque en époque. Les états qui en faisaient partie se sont fait entre eux la guerre, ils ont adopté des croyances religieuses et des législations civiles diverses, les uns se sont engagés au dehors dans des alliances, tantôt belliqueuses, tantôt pacifiques, opposées à celles qu’embrassaient les autres ; mais à travers ces variations et ces luttes, avec un lien souvent très faible et une vie intérieure souvent très orageuse, la confédération germanique a subsisté, et c’est sous ce titre que l’Allemagne, bien que divisée en un grand nombre d’états, a conservé l’unité de son nom dans l’histoire de l’Europe.

Deux grands faits, l’un au XVIIIe siècle, l’autre de nos jours, ont profondément modifié, je devrais dire qu’ils ont détruit cette ancienne organisation des peuples allemands. Au XVIIIe siècle, par le génie politique et militaire d’un grand roi, Frédéric II, l’un des états confédérés, la Prusse, a grandi en étendue extérieure et en force intérieure au point de pouvoir disputer et de disputer en effet la prépondérance, dans la confédération allemande, à l’Autriche, qui la possédait depuis plusieurs siècles. La révolution française et Napoléon, par leurs idées et leurs guerres, ont suspendu cette rivalité des deux principales puissances allemandes, et abaissé tour à tour la Prusse et l’Autriche, la première encore plus que la seconde. Poussées à bout l’une et l’autre, elles se sont relevées ensemble dans