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trouve assez puissant dans le monde, et, grâce à la responsabilité qui pèse sur lui, il sait se régler et se contenir dans ses désirs et ses œuvres. C’est ainsi qu’il est devenu réservé et pacifique. Il doit à l’influence de la liberté sur le pouvoir et au sentiment de la responsabilité qu’elle lui impose l’acquisition de cette rare sagesse. Je lui souhaite de conserver en même temps un profond sentiment des droits comme de la dignité du pouvoir, et de ne pas tomber dans une faiblesse complaisante pour les exigences et les impatiences sans mesure de cette autre puissance, aujourd’hui si envahissante et si imprévoyante à son tour, l’ambition populaire.

Un autre fait, non moins nouveau, est pour beaucoup dans l’esprit pacifique qui prévaut si hautement en Angleterre. L’inquiétude et la jalousie haineuse envers la France ont cessé d’y être un sentiment continu et national. De nos jours, pour la première fois depuis des siècles, l’Angleterre a reconnu que non-seulement la paix matérielle, mais les bons rapports et souvent même l’entente cordiale avec la France lui étaient fortement conseillés par son intérêt bien entendu, l’intérêt de sa prospérité intérieure comme celui de sa situation européenne. Plusieurs occasions de sympathie morale se sont jointes aux conseils de l’intérêt bien entendu ; les deux peuples se sont visités, connus, compris, mieux qu’ils ne l’avaient encore fait ; le gouvernement anglais, quelque divers qu’aient été ses chefs, a rencontré en France, de 1815 jusqu’à ces derniers jours, trois gouvernemens très divers aussi, mais qui, tous trois, ont compris l’importance des bons rapports avec l’Angleterre, et qui, malgré des questions délicates et des nuages passagers, se sont appliqués et ont réussi à les maintenir. La restauration, la monarchie de juillet et le second empire ont, au fond et dans l’ensemble, pratiqué à cet égard la même politique. C’était par sa rivalité et ses luttes répétées avec la France que l’Angleterre se voyait sans cesse attirée dans les guerres du continent européen, et jetée hors de sa politique naturellement pacifique sur ce continent, où depuis trois siècles elle n’a plus aucune prétention de rien conquérir. La cessation de l’hostilité permanente avec la France a rendu à la politique pacifique de l’Angleterre en Europe toute sa liberté ; les liens de tout genre qui se sont établis entre les deux peuples ont de jour en jour affermi cette nouvelle situation. La paix européenne est aujourd’hui plus que jamais la pensée, l’intérêt et le soin assidu, de l’Angleterre. Je ne veux pas pressentir ce qu’elle ferait, si elle voyait la France rompre volontairement cette paix ; je ne conseillerais pas à mon pays de compter en pareil cas sur l’indifférence et l’immobilité qui président, dit-on, maintenant à la politique extérieure de l’Angleterre ; mais à coup sûr le