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étrangère sans y intervenir aussi dans l’intérêt français. En reconnaissant le droit de ces peuples à modifier leurs institutions, il a efficacement protégé, tout autour de la France, l’indépendance nationale de ses voisins et l’établissement ou les progrès du régime constitutionnel. A coup sûr, ce n’était pas là une politique facile à faire accepter de la plupart des grandes puissances européennes au sortir d’un temps plein de guerres de conquête et d’interventions étrangères. Pourtant le gouvernement de 1830 y a réussi, et c’est au nom de la paix européenne qu’il y a réussi. Le congrès de Vienne avait fondé la paix européenne sur la domination générale des grandes puissances et le régime stationnaire des états. Le gouvernement de 1830 a maintenu la paix européenne en en brisant les pesantes conditions. Il a concilié les bienfaits de la paix avec l’indépendance des peuples et les progrès de la liberté.

« Les politiques clairvoyans de l’Europe ne se sont pas mépris sur les résultats de cette conduite du gouvernement de 1830 pour la grandeur de la France. Le 24 février 1848, au moment même de la chute imprévue de ce gouvernement, le chancelier de l’empire russe, le comte de Nesselrode, écrivait à l’ambassadeur de Russie à Londres : « La France aura gagné à la paix plus que ne lui aurait donné la guerre. Elle se verra entourée de tous côtés d’un rempart de petits états constitutionnels, organisés sur le type français, vivant de son esprit, agissant sous son influence[1]. »

Contenue par les traditions et les exemples du gouvernement même qu’elle venait de renverser, ou subissant à son tour l’empire de l’intérêt et de l’instinct pacifique de la France, la république de 1848 a gardé au dehors, autant que le lui permettaient son berceau et son nom, la même attitude que la monarchie de 1830 ; elle a non-seulement maintenu en fait, mais proclamé en principe la politique de la paix. « La guerre, écrivait le 5 mars 1848 M. de Lamartine à tous ses agens diplomatiques, la guerre n’est pas le principe de la république française, comme elle en devint la fatale et glorieuse nécessité en 1792. Entre 1792 et 1848, il y a un demi-siècle. Revenir après un demi-siècle au principe de 1792 ou au principe de conquête de l’empire, ce ne serait pas avancer, ce serait rétrograder dans le temps. La révolution d’hier est un pas en avant, non en arrière. Le monde et nous, nous voulons marcher à la fraternité et à la paix….. Ce n’est pas la patrie qui court les plus grands dangers dans la guerre, c’est la liberté. La guerre est presque toujours une dictature. Les soldats oublient les institutions

  1. Le texte entier de cette dépêche a été publié par M. Garnier-Pagès dans son Histoire de la Révolution de 1848, t. III, Appendice, p. 361.