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monstrueuses. M. Waterton rapporte le cas d’une jument qui produisit successivement trois poulains sans queue ; en profitant de cette variation accidentelle, il est probable qu’on aurait pu faire naître une race pourvue de queue, comme on a obtenu des chiens et des chats privés de cet appendice.

Nous ne pouvons suivre M. Darwin dans les détails fort intéressans et souvent très inattendus qu’il donne sur la transformation progressive des races d’animaux domestiquées, nous devons y renvoyer le lecteur. Qu’il nous soit permis seulement de signaler d’une manière plus particulière les recherches auxquelles M. Darwin s’est livré sur les pigeons. Il leur a consacré une véritable monographie, jugeant avec raison que rien n’est plus propre à répandre la lumière sur un sujet de cette nature qu’un cas particulier complètement étudié et merveilleusement décrit. M. Darwin s’est adonné lui-même à l’élève des pigeons ; il s’est fait recevoir membre de plusieurs clubs, il a consacré à cette occupation beaucoup de temps et d’argent. Comme les pigeons couvent presque sans interruption et que les pigeonneaux arrivent en peu de temps à maturité, les générations de ces volatiles se succèdent avec rapidité, et en une dizaine d’années on peut obtenir des séries multiples de descendans ; c’est là ce qui a déterminé le choix de M. Darwin, car les ressources et la vie d’un seul naturaliste ne suffiraient pas pour mener à bonne fin sur d’autres races d’animaux un cycle d’études aussi complet et aussi varié.

Dans le règne végétal, l’action de l’homme s’exerce encore plus librement et avec un succès plus durable qu’à l’égard des formes animales. Ici le sujet offre de grandes difficultés ; les botanistes ont généralement dédaigné de s’occuper des variétés cultivées ; dans beaucoup de cas, le prototype sauvage est douteux ou inconnu ; dans d’autres, on ne sait comment distinguer les sauvageons échappés des plantes vraiment sauvages, de sorte que rien ne permet d’apprécier l’étendue des changemens survenus. Dans cette complication presque inextricable de formes sauvages et de formes artificielles, M. Darwin a su néanmoins dégager des lois générales et des résultats certains qui jettent un grand jour sur la question de la variabilité des espèces. En somme, la théorie de la sélection naturelle et de la genèse continue, ainsi fortifiée par les résultats de la sélection intentionnelle, soulève encore de grandes difficultés ; mais ces difficultés se rapportent généralement ai des sujets sur lesquels nous devons, comme le dit M. Darwin, « avouer une ignorance dont nous ne connaissons même pas l’étendue. » Il est possible que les progrès de la paléontologie, de l’anatomie comparée, de la botanique, fassent disparaître ces difficultés une à une.


R. RADAU.


L. BULOZ.