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l’esprit demeure incapable de s’éprendre même des plus beaux chefs-d’œuvre, et qu’un paysan sera probablement moins touché du spectacle qu’ils donnent que d’une représentation médiocre ou vulgaire de la réalité ? Les œuvres du pinceau ou du ciseau exigent non-seulement pour être produites, mais même pour être estimées à leur valeur, une maturité de l’intelligence, des habitudes de raisonnement et une expérience scientifique auxquelles les dons naturels, si heureux qu’ils soient, ne peuvent suppléer. Quant à l’architecture, est-il besoin de rappeler la part qui revient dans ses travaux aux calculs, à la logique, aux élémens les plus distincts de l’imagination pure ou du caprice ? En matière d’art comme ailleurs, rien n’existe sans la méthode, sans l’ordre, sans l’observation de certains principes immuables, quelles que puissent être l’indépendance apparente des manières et la diversité des modes d’application. Les plus grands maîtres, à tout prendre, sont ceux qui ont eu le plus de savoir et de bon sens, et c’est une opinion aussi fausse de croire que les artistes d’élite peignent ou sculptent comme les oiseaux chantent que de prétendre apprécier les témoignages de leur génie avec la simple curiosité pour guide et la sensation pour unique moyen de contrôle.

Or, puisque la science a sa place, et une place nécessaire, jusque dans les procédés de l’invention, puisque d’une autre part l’examen d’un tableau, d’une statue, d’un édifice, est bien moins une occupation du regard qu’une opération réfléchie de l’esprit, quoi de plus naturel et de plus avantageux pour tout le monde que de résumer en termes précis ces conditions techniques et de féconder par la théorie ces réflexions ? Le Dictionnaire de l’Académie des Beaux-Arts est composé en vue de ce double résultat. Aux artistes, il rappelle les principes en dehors desquels il ne saurait y avoir pour eux que tentatives vaines ou aventures ; aux hommes simplement en humeur de s’instruire, aux « honnêtes gens, » comme on aurait dit au XVIIe siècle, il fournit sur toutes les questions des enseignemens d’autant plus profitables qu’ils sont mieux débarrassés de tout appareil pédantesque. Nulle ostentation en effet dans l’expression, nul excès de familiarité non plus. Pour définir la signification de chaque mot ou pour développer les idées que ce mot implique, les éminens auteurs du nouveau dictionnaire se gardent aussi bien du jargon des ateliers que des formules hautaines de la scolastique. La langue qu’ils parlent est une langue digne du sujet et digne d’eux, savante et cependant intelligible à tous, substantielle par les pensées qu’elle traduit et les certitudes qu’elle donne, mais en même temps facile, naturelle, énonçant les choses avec cette simplicité lumineuse qui est un des privilèges et une des traditions du génie français.

Veut-on des exemples ? Qu’on lise, entre autres, les pages consacrées à l’explication des mots appareil, architecture, ou bien à l’article bas-relief, celles qui traitent des lois spéciales prescrites à ce genre de sculpture.