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Ils ont exhalé leurs plaintes, dont les journaux bien pensans ont recueilli le comique et attendrissant écho, sans oublier les objurgations accoutumées pour le machiavélisme de la politique italienne, coupable de tels méfaits. Heureusement les machinations de l’Italie ont été découvertes, la police pontificale est arrivée un peu tard, mais encore à temps pour empêcher le complot de réussir jusqu’au bout. Et voilà comment le pouvoir temporel a été sauvé encore une fois des embûches de ses éternels ennemis ! Une question curieuse à débattre quelque jour sera sans doute celle de savoir qui aura le mieux servi aux mésaventures du pouvoir temporel de ses ennemis ou de ses amis.

On ne peut pas se dissimuler en effet que les gouvernemens ont souvent de terribles ennemis dans les amis qui les servent ou qui les défendent d’une certaine façon. Comment l’Espagne s’arrêtera-t-elle sur la pente où elle est, et où d’aveugles passions réactionnaires la poussent ? Il ne serait pas bien facile de le dire. A ne consulter que les apparences et le thermomètre officiel, l’Espagne jouit d’une paix inaltérable. La reine Isabelle prend paisiblement des bains sur les côtes des provinces basques, et le président du conseil, M. Gonzalez Bravo, a une robuste confiance en lui-même. Aucune insurrection n’a éclaté, les partis sont désarmés, les généraux qu’on redoutait le plus ont été exilés ou internés, les journaux à leur tour gardent un prudent silence. L’inquiétude cependant est aussi vive que profonde à Madrid comme dans toute l’Espagne, et M. Gonzalez Bravo lui-même est peut-être le premier, malgré son assurance, à sentir son pouvoir chanceler au milieu des difficultés qu’il accumule avec une passion présomptueuse. Le cabinet espagnol a pu, sans provoquer une explosion immédiate, multiplier les rigueurs et les coups d’autorité, il ne peut empêcher la réaction croissante de tous les sentimens libéraux et même de tous les instincts sainement conservateurs qui se réveillent en présence du péril, qui s’effraient des allures d’une politique où la forfanterie se mêle à l’imprévoyance. Le cabinet de Madrid a pu exiler le duc et la duchesse de Montpensier sous prétexte que « les révolutionnaires se servaient de leur nom comme d’un drapeau, » et il n’a réussi peut-être en définitive qu’à donner ce drapeau aux révolutionnaires. Il a fait ce qu’il a pu pour arrêter au passage une protestation adressée de Lisbonne à la reine par les deux princes exilés : cette protestation n’est pas moins répandue à Madrid, elle est d’un ton parfaitement net, parfaitement digne, et, c’est avec grande raison que les deux princes le disent, « toutes les fois qu’un peuple s’agite, c’est qu’un grand malaise le tourmente, car il n’existe pas d’individualités ni de noms assez puissans pour servir de drapeau et entraîner une nation à leur suite. » Chose à remarquer du reste, les deux exilés n’invoquent dans leur protestation ni les liens de famille ni les considérations de rang, ils n’invoquent d’autre qualité que celle d’Espagnols placés sous la sauvegarde des lois générales du pays et arbitrairement frappés. Cet