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senti alors qu’il y avait des choses où l’on ne se passait pas de la complicité du temps, qu’il y avait des momens où la meilleure politique pour un pays était de se recueillir, de se calmer, de réorganiser son administration intérieure et ses finances. C’est ce qui a été la raison d’être et la force du ministère du général Ménabréa, c’est ce qui en explique la durée au milieu de la confusion des partis, et le dernier mot de cette pacifique et laborieuse période, à part toutes les lois de finances que M. Cambray-Digny a fait triompher, c’est l’acte qui vient de s’accomplir sous la médiation de la France, c’est le partage définitif de la dette pontificale entre l’Italie et le saint-siège. Cette négociation, commencée dès 1866, à l’époque de notre première retraite de Rome, a été fort traversée, on le conçoit, par les événemens de l’an dernier : elle a été reprise, et elle vient d’aboutir au dénoûment. La dette perpétuelle ou rachetable acceptée par l’Italie est de 18 millions de rentes, représentant la part des provinces annexées au nouveau royaume. Après tout, si c’est une charge de plus pour le trésor italien, qui en a tant d’autres, c’était d’une évidente justice. Ce qu’il y a de caractéristique dans ce règlement, c’est qu’il est un vrai partage sans subterfuge, c’est que la dette est transportée purement et simplement du grand-livre romain sur le grand-livre italien, et que les intérêts n’auront désormais à passer par aucun intermédiaire. Ce n’est point assurément une reconnaissance, même indirecte, de la part du pape, c’est tout au moins un de ces acquiescemens tacites comme le saint-siège en a donné si souvent aux faits accomplis, en protestant toujours. Pour dire toute notre pensée, et sans diminuer la valeur de cette dernière négociation, on aurait donné l’argent au pape pour payer les intérêts de sa dette que la chose eût été absolument la même ; le pouvoir temporel ne s’en serait pas mieux porté, et l’Italie n’eût pas été moins en sûreté. C’est là une de ces questions qui vont lentement, irrésistiblement, vers la seule solution possible et inévitable.

Convenez cependant que l’esprit départi a quelquefois de belles imaginations dans ces affaires de Rome et de l’Italie, et qu’il peut broder d’étranges aventures sur les choses les plus sérieuses. La dernière invention des journaux cléricaux ne laisse point d’être comique et même assez salée. De quoi n’est point capable cette terrible Italie quand il s’agit de Rome, et comment conter cela ? Que voulez-vous ? On est soldat du pape et on n’est pas un saint, on est sujet aux tentations ; ce que voyant, l’Italie, qui est une madrée, et qui a une ample provision de moyens moraux, s’est dit qu’il fallait prendre par la ruse ces Samsons du pouvoir temporel qu’elle n’avait pu vaincre à Mentana ; elle leur a expédié sournoisement : un escadron de dangereuses amazones, plénipotentiaires d’un ordre peu diplomatique, qui ont oublié de présenter leurs lettres de créance au cardinal Antonelli, et le fait est, toujours au dire des nouvellistes bien informés, que les soldats du pape auraient donné dans le piège en braves, avec un entrain remarquable, si bien qu’ils ont eu affaire à l’hôpital.