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Allemagne qu’elle avait produit plus de deux mille ouvrages, toute une bibliothèque. Les Italiens sont aujourd’hui fort en train d’ajouter à cette littérature : brochures au nom et pour la défense du général Cialdini, qui commandait le quatrième corps et qui a joué un des premiers rôles, brochures au nom et pour la défense du général La Marmora, qui était le chef d’état-major de l’armée. Une des plus curieuses de ces brochures est celle qui vient d’être publiée par le général La Marmora lui-même sous ce titre : Eclaircissemens et Rectifications. Elle date de quelques jours à peine, et précise bien des points obscurs. Toutes ces polémiques prouvent deux choses et ne prouvent guère que ces deux choses : la première, c’est que, malgré tous les soupçons qui l’ont poursuivi de Berlin, le général La Marmora a été en tous les momens fidèle à cette alliance prussienne qu’il avait réussi à nouer comme chef du ministère. La marque saisissante de cette fidélité est dans les premières dépêches qu’il expédiait à Paris en recevant la nouvelle de la cession de la Vénétie après Custoza. « Tâchez, écrivait-il, de nous épargner la dure alternative de manquer à la Prusse ou de nous heurter contre la France. » Si on veut aller plus au fond, le général La Marmora garde sans doute une préférence sensible pour l’alliance française ; mais ce n’est pas à nous apparemment à lui en vouloir, et dans tous les cas, au milieu de ces dramatiques événemens, il apparaît encore comme un des hommes les plus sérieux, les plus corrects, comme un de ceux qui ont le plus cette chose simple et grave qui n’est pas si commune en Italie, le caractère. C’est par là qu’il se relève et qu’il a de la tenue en politique. Le second fait, qui n’est pas moins éclatant, c’est que dans cette singulière guerre tout allait à la grâce de Dieu. Où était le commandement ? On ne le savait. Quels étaient les plans ? On ne le savait pas davantage, et, à défaut de celui de M. d’Usedom, on n’en avait guère d’autres ; on marchait devant soi jusqu’à la prochaine rencontre. Ce qu’on voit à travers tout, c’est un chef d’état-major, le général La Marmora, se démenant, s’agitant, réduit à subir la responsabilité même de ce qu’il ne faisait pas, offrant dans ses momens d’impatience de céder la place à Cialdini, qui ne s’en souciait, pressant l’amiral Persano, qui restait immobile dans l’Adriatique, tenant ferme encore pourtant, et moins démonté qu’on ne l’avait cru après Custoza, mais impuissant à dominer une situation où tout le monde voulait commander et où personne n’avait de tête.

Heureusement pour elle, l’Italie était dans un de ces momens où, même en étant battue, elle devait rester victorieuse ; elle allait à Venise contre vent et marée, par une invincible force des choses et en dépit de toutes les fautes. Ce sont là des circonstances exceptionnelles, et toutes les conquêtes ne sont pas toujours possibles à ce prix ni par les mêmes moyens. L’Italie en a fait l’expérience amère, lorsqu’il y a un an, par l’impatience de ses volontaires et par la connivence d’un cabinet étourdi, elle a eu l’air de vouloir violenter la fortune en brusquant l’affaire romaine. Elle a