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puissance ; elle ne peut désormais rester étrangère aux combinaisons, aux événemens qui se produisent en Europe, et c’est ce qui donne de l’intérêt à tout ce qu’elle fait, même à tout ce qu’elle pense. L’interpellation du général La Marmora, en ravivant tous les souvenirs de la guerre de 1866, a mis les esprits en mouvement au-delà des Alpes, a ramené dans les discussions publiques toutes ces questions qui touchent aux alliances possibles pour l’Italie, notamment à l’alliance avec la Prusse. Tant que les chambres ont été réunies, c’est dans les chambres que le débat s’est agité, aujourd’hui c’est dans les polémiques qu’il se poursuit ; il tend toutefois visiblement à s’apaiser, à se dégager de ce qu’il avait de plus sérieux. Cet incident inattendu est né, on le sait, d’un compte-rendu un peu dédaigneux de l’état-major prussien sur les opérations de l’armée italienne en 1866 ; il s’est agrandi et aggravé par la divulgation d’une dépêche de M. d’Usedom traçant à l’Italie un plan de campagne très hasardeux, passablement révolutionnaire, qui n’a pas été suivi, qui était assurément plus facile à formuler qu’à exécuter. Au fond, c’était évidemment l’alliance prussienne qui se trouvait en cause, et c’est ce qui faisait l’importance politique de ce débat rétrospectif. On s’est plaint vivement en Prusse du procédé du général La Marmora, se servant d’une note diplomatique qui ne lui appartenait plus depuis qu’il avait cessé d’être au pouvoir et qui ne paraissait pas dans tous les cas destinée à la publicité. Si le général La Marmora a fait cela, il faut convenir qu’il était un peu dans le cas de légitime défense, et c’est après tout un personnage trop sérieux pour avoir agi par surprise vis-à-vis du gouvernement de son pays. Ce qu’il a fait, il était sans doute autorisé à le faire. Le procédé a pu déplaire à Berlin, d’autant plus qu’il éclairait des mystères sur lesquels on ne tenait pas à jeter un si grand jour ; il n’a pas moins porté un coup sensible, et la Prusse s’est crue obligée de donner satisfaction au sentiment de dignité qui s’était éveillé dans l’armée italienne ; on dit même qu’elle a tenu à s’expliquer avec l’Autriche sur le sens et la portée de ce plan de campagne, ou plutôt de ce plan de destruction qui venait d’être révélé subitement. Sans désavouer absolument la note de son ministre à Florence, M. le comte d’Usedom, le cabinet de Berlin s’est efforcé de l’atténuer en dégageant sa propre responsabilité, de même qu’il a voulu calmer les susceptibilités italiennes en déniant tout caractère officiel aux histoires militaires publiées par l’état-major prussien sous la direction du général Moltke.

Cela suffisait pour le moment. L’incident n’avait plus la même importance, et il en résulte aujourd’hui que ce débat, dépouillé de ce qu’il pouvait avoir de politique, finit par devenir une querelle domestique entre généraux italiens. A la guerre diplomatique ou parlementaire succède la guerre des brochures et des polémiques. Cette campagne de 1866, elle a déjà toute une littérature ; on calculait récemment en