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immodérée. A présent tout est changé, c’est l’opposition qui triomphe. et se reprend à l’espérance, c’est le gouvernement qui a la mauvaise humeur d’un échec auquel il ne s’attendait pas. Cet échec en effet a été sérieux, et il est d’autant plus sensible pour le gouvernement que cette fois ce sont les campagnes qui lui ont manqué, qui ont déserté le camp officiel. Il ne faut pas d’ailleurs s’y méprendre. Les considérations personnelles ont dû évidemment jouer un certain rôle dans cette élection ; M. Jules Grévy est dans le Jura un homme connu et aimé, qui a exercé avec une modération intelligente les difficiles fonctions de commissaire de la république en 1848, qui a toujours été le premier élu parmi les députés envoyés à l’assemblée constituante comme à l’assemblée législative, et qui, au moment même où il était candidat, a été choisi comme bâtonnier par l’ordre des avocats de Paris. Tout ceci est pour montrer que l’heureux élu du Jura est un homme ayant une notoriété générale et resté en même temps l’enfant du pays, c’est-à-dire en définitive placé dans les conditions les meilleures pour rallier tous les suffrages indépendans.

L’élection de M. Grévy n’a pas moins une signification politique caractérisée ; elle a été un champ de bataille chaudement disputé, et, comme d’ici à peu de jours, à défaut des élections générales, ajournées à l’an prochain, il va y avoir un certain nombre d’élections partielles dans le Var, dans la Nièvre, dans la Moselle, nous allons assister à une ébauche d’agitation électorale où toutes les opinions vont essayer leurs forces en attendant la lutte décisive d’où sortira un nouveau corps législatif. Ce mouvement est déjà commencé, il s’accentue chaque jour de plus en plus quoique dans une certaine confusion. Il y aurait probablement pour l’opposition un moyen infaillible de servir les candidatures officielles, que l’administration couvre de son immense et absorbant patronage, ce serait de porter dans cette lutte un esprit étroit, comme on l’a essayé à l’occasion de l’élection de M. Grévy, qui pourtant n’a dû peut-être son succès qu’à des suffrages de toutes les nuances libérales, et qui avait même reçu et accepté l’appui de M. Berryer. Chose curieuse, nous sommes à peine au début d’une renaissance libérale, et il y a déjà des partis exclusifs, séparatistes, qui croiraient presque se compromettre, s’ils entraient en transaction, s’ils n’arboraient sans cesse le dangereux dilemme de tout ou rien, et qui en fin de compte n’arrivent qu’à diviser et à troubler l’opinion au lieu de la rallier et de la rassurer. Et cependant, s’il est une vérité éclatante aujourd’hui, c’est qu’il ne peut y avoir une action utile, efficace, que sur un terrain assez large pour contenir toutes les opinions sérieuses, indépendantes, réunies dans cette unique pensée de revendiquer et d’affermir une liberté régulière ; mais c’est là une situation qui commence, qui passera encore par bien des phases laborieuses, et où nos destinées françaises sont en jeu au moins autant que dans les affaires extérieures.

L’Italie fait un peu confusément son apprentissage de grande